Dénoncé par un employé de La Poste, il risque l’expulsion

Sans-papiers, Emmanuel Kundela devrait être expulsé dimanche. Demain, un rassemblement est organisé à Grenoble pour exiger la libération et la régularisation de ce Congolais qui vit en France avec sa femme et ses quatre enfants.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 28 septembre 2016 abonné·es
Dénoncé par un employé de La Poste, il risque l’expulsion
© Photo: JOHN MOORE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Samedi 20 août, Emmanuel Kundela se rend à La Poste. Il souhaite retirer de l’argent. Présentant un récépissé non conforme, l’homme est immédiatement dénoncé par le guichetier de l’agence qui appelle la police, laquelle arrête le « sans-papiers ».

Placé au centre de rétention administratif (CRA) de Nîmes, Emmanuel Kundela entame alors ses premiers jours d’incarcération. Après une tentative de transfert vers le CRA de Marseille, qu’il refuse pour ne pas être éloigné de sa femme enceinte et de leurs quatre enfants, M. Kundela est finalement amené dimanche 18 septembre à Roissy.

De force, le père de famille est alors conduit dans un avion en direction de Kinshasa, au Congo. Devant son opposition, les autorités n’hésitent pas à le menotter et à le bâillonner : « Ils m’ont menacé, brutalisé et attaché avec du scotch, raconte Emmanuel Kundela, blessé durant cette tentative d’expulsion aussi rapide que discrète. Je dois mon débarquement aux passagers qui ont refusé de s’asseoir et au pilote qui a demandé aux policiers de me faire sortir. »

Depuis, l’homme est retenu au CRA du Mesnil-Amelot. Une plainte a-t-elle été déposée pour dénoncer les violences dont il a été victime ? « Auprès de qui ? », rétorque Emmanuel, qui pense « n’avoir aucun droit ».

Plus que jamais, Emmanuel Kundela vit sous la menace d’une expulsion. D’ailleurs, « ce sera pour dimanche, le 2 octobre », assure Alice Dupouy, responsable régionale Rétention pour la Cimade Île-de-France. Soit deux jours avant la fin de la durée maximale de rétention autorisée, fixée à 45 jours.

Engagés dans la demande de sa libération et de sa régularisation, les militants du Réseau éducation sans frontières (RESF) organisent jeudi 29 septembre un rassemblement solidaire à Grenoble, à partir de midi. Celui-ci se tiendra au Jardin de Ville, près de l’école élémentaire. Une pétition a également été mise en ligne.

L’acharnement de la préfecture de l’Isère contre un père de famille

Éprouvé par plus d’un mois d’incarcération, Emmanuel Kundela n’a plus d’espoir. Au téléphone depuis le centre de rétention, l’homme ne cache pas son inquiétude. Enceinte, sa femme se retrouve seule et sans aucun revenu pour s’occuper de leurs quatre enfants. « Elle ne va pas bien », résume simplement M. Kundela. Originaire du Kivu, à l’est du Congo, le père de famille explique qu’il n’envisage aucun avenir dans son pays d’origine « où il n’ y a que la mort qui puisse [l]’attendre ». Ancien opposant politique, l’homme décrit une région empêtrée dans un conflit meurtrier où il ne serait pas en sécurité.

En 2011, Emmanuel Kundela arrive sur le sol français aux côtés de sa femme et de leurs deux enfants. Très vite, la famille souhaite être régularisée. Le jeune Congolais réclame alors l’asile politique auprès de l’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Une requête qui n’aboutira pas « pour insuffisance de preuve, comme dans plus de 85% des cas », s’attriste Martine François, membre de RESF. Installée près de Grenoble, où les enfants du couple sont scolarisés, la famille tente tout de même d’obtenir un titre de séjour vie privée et familiale. À trois reprises ! Mais les dossiers déposés à la préfecture sont systématiquement refusés.

Dans un communiqué appelant à la régularisation de toute la famille Kundela, RESF dénonce un acharnement contre des personnes « très bien intégrées dans la vie locale » alors que « le conseil départemental refuse de donner un sou aux familles étrangères sans papiers, sans tenir compte de leur situation et leurs demandes de régularisation ». Indignée devant une telle situation, Martine François souligne d’ailleurs qu’Emmanuel Kundela subvient seul au besoin de la famille. Bien que « privé du droit de travailler légalement », celui-ci s’est trouvé un emploi et parvient à construire sa vie ici, en France.

Un département qui régularise peu ?

Arrêté près de Grenoble, la préfecture fait valoir le fait qu’il n’aurait jamais dû se trouver sur le territoire. D’après son avocate, « Emmanuel Kundela fait l’objet d’une interdiction de territoire prononcée dans le cadre d’une OQTF [Obligation de quitter le territoire français, NDLR] ». Après avoir refusé d’embarquer pour Marseille quelques jours après son arrestation, M. Kundela s’est d’ailleurs vu reprocher par un tribunal administratif le non-respect de cette mesure, assortie d’une assignation à résidence.

Engagée dans la demande de libération d’Emmanuel Kundela, Annie David, sénatrice de l’Isère membre du groupe Communiste, républicain et citoyen (CRC), a par ailleurs sollicité « une intervention urgente » du préfet du département. Dans cette lettre, adressée au préfet Lionnel Beffre, la sénatrice rappelle qu’Emmanuel Kundela a « fait toute les démarches nécessaires » en vue d’une régularisation, lui demandant, « au titre de la protection de l’enfance et à titre humanitaire », de bien vouloir « arrêter la procédure » :

Il n’est d’autre reproche à lui adresser que de chercher à assurer la sécurité de sa famille et ne pas s’être conformé aux dispositions de l’assignation à résidence de son OQTF qui l’obligeait à s’absenter de son travail.

D’autant que, d’après son avocate, la situation de ce père de famille correspond aux critères exigés par une circulaire de Manuel Valls qui « envisage une régularisation si la famille peut justifier de cinq années de présence en France, et de trois ans de scolarisation des enfants ». Des conditions que la famille remplit : les deux aînés qui sont arrivés en France avec leurs parents sont scolarisés depuis leur arrivée sur le territoire, soit cinq ans. Les deux autres enfants, nés en France en 2011 et 2014, également.

Pourtant, cette circulaire ne peut être invoquée devant un tribunal « puisqu’elle n’a pas force de loi, explique Me Aurélie Marcel. Il s’agit d’une consigne adressée aux préfets lorsque ceux-ci étudient les dossiers. Mais ils ne sont pas contraints de suivre ces recommandations. » D’ailleurs, « cette circulaire n’est jamais appliquée en Isère », se désole l’avocate.

Martine François, la militante de RESF qui accompagne la famille Kundela, constate elle aussi un changement de comportement de la part de la préfecture de l’Isère, qu’elle juge plus sévère dans ses choix de régularisation qu’il y a une dizaine d’années. Mme François raconte notamment avoir « accompagné une Congolaise très malade dans ses démarches », estimant qu’elle ne pouvait pas être correctement soignée dans son pays. Mais « n’ayant pas obtenu son titre de séjour au motif de la santé, et ne pouvant pas non plus être transportée, cette dame a été maintenue en centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) et y est finalement décédée ».

Craignant de telles perpectives, Martine François se demande comment interpeller plus largement l’opinion publique face à ces refus de régularisation dont l’issue est parfois tragique. Si la préfecture assure qu’Emmanuel Kundela ne risque rien au Congo, présentant les mêmes arguments que ceux de l’Ofpra, les inquiétudes persistent sur ce qu’il pourrait advenir de ce ressortissant congolais, une fois de retour au pays.

Société Police / Justice
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