Emmanuel Kundela a été expulsé, en dépit de la mobilisation

Ce Congolais, père de quatre enfants, devait être libéré aujourd’hui. Il a été mis dans un avion ce matin, malgré les nombreuses sollicitations adressées au préfet de l’Isère, resté sourd aux demandes d’arrêt de procédure.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 4 octobre 2016
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Emmanuel Kundela a été expulsé, en dépit de la mobilisation
© Photo : BORIS ROESSLER / DPA

Ce mardi matin, les autorités françaises ont expulsé Emmanuel Kundela. Direction Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC). L’homme a été renvoyé le jour de son quarante-cinquième jour de rétention, durée maximum de détention administrative, et implicitement, jour de sa libération, fixée à 15h.

Opposant politique, l’homme a pourtant expliqué jusqu’au dernier moment être en danger s’il devait retourner dans son pays. Une répression y est d’ailleurs actuellement menée contre les anti-gouvernementaux. Alerté par le collectif Réseau éducation sans frontières (RESF) sur la procédure d’expulsion visant ce père de famille, nous vous racontions son parcours la semaine dernière. Le jour même où Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères, estimait que la RDC était _« au bord de la guerre civile ».

Depuis, ce dernier a même menacé le président congolais au pouvoir depuis 2001, Joseph Kabila, « d’éventuelles sanctions » s’il ne respectait pas la Constitution. Son dernier mandat doit prendre fin en décembre. Mais celui-ci n’a laissé apparaître aucun signe montrant qu’il était prêt à quitter le pouvoir, bien au contraire.

Les 19 et 20 septembre, les opposants qui sont alors allés exiger le départ de Joseph Kabila dans la rue ont été réprimés par les forces de l’ordre qui ont fait, selon les chiffres de l’ONU, au moins 53 morts, dont 4 policiers. D’après l’opposition congolaise, le bilan serait plus lourd encore ; elle fait état d’une centaine de victimes. Et tout cela s’est passé dans la capitale, Kinshasa, où Emmanuel Kundela devait arriver en fin de journée. Cinq ans après son départ et son installation en France, il laisse derrière lui sa femme, enceinte, et ses quatre enfants.

« Qu’allons nous dire à ses enfants, en tant que représentant de l’État ? »

Dénoncé par un employé de La Poste après que celui-ci a constaté un récépissé non-conforme, M. Kundela était en Centre de rétention administratif (CRA), depuis le 20 août dernier. Si de nombreux soutiens, des associations aux parlementaires, en passant par la mairie de Grenoble, proche de la commune où est installée la famille, ont interpellé le préfet de l’Isère pour lui demander de stopper la procédure, rien n’y a fait. Contacté par Politis dès ce matin, la préfecture n’a pas donné suite à nos appels.

Nous souhaitions les interroger sur la non-application de la circulaire Valls, permettant une régularisation si la famille justifie de cinq ans de présence en France, et de trois ans de scolarisation des enfants. Ce qui était le cas ! En fin d’après-midi, le service communication de la préfecture a finalement choisi de ne pas parler directement avec nous, préférant « un rapport égalitaire avec toute la presse » en envoyant un communiqué, que nous n’avons, pour l’heure, pas reçu.

Face à l’absence de réponse de Mme Charbonneau, conseillère sur les questions de l’immigration et de l’asile du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, un militant de RESF Paris, Richard Moyon, interpellait aussi cette dernière par écrit, ainsi que le directeur du cabinet du ministre, M. Strzoda. Une lettre de colère intitulée « Situation d’Emmanuel Kundela et de l’éthique en politique » dans laquelle il s’insurge de l’absence de réponse de Mme Charbonneau alors que la menace d’expulsion était réelle et imminente.

Appelant à une « prise de conscience en haut lieu », le militant a fait part de sa consternation à l’égard des traitements subis par les « sans-papiers » au vu du parcours de M. Kundela. Il s’est également interrogé sur le genre de mesures prises « sous un président, un gouvernement et un ministre de l’Intérieur qui se disent de gauche et attachés à un certains nombre de valeurs » :

Moi président, je priverai des enfants de leur père ? Je renverrai un homme vers une capitale aussi pacifiée et démocratique que Kinshasa ? Je recourrai à la délation comme vient par exemple de le faire aussi le maire de Roussillon (Isère) en dénonçant une famille congolaise ? Je féliciterai le directeur du cabinet du préfet de l’Isère qui a proposé à une sénatrice d’expulser toute la famille Kundela vers le Congo pour ne pas la démembrer ?

Martine François, membre du Réseau éducation sans frontières, désespère de l’attitude des autorités françaises qui, hier encore, condamnaient les violences et le régime congolais. Enseignante, celle-ci se demande comment les professeurs des enfants de M. Kundela vont expliquer l’expulsion de leur père par l’État, pour lequel ils travaillent : « Qu’allons nous leur dire, en tant que représentant de cet État ? »

Se sentant « démunie » face à une telle situation, Martine François assure que la mobilisation continue. « Dans un premier temps, nous allons entourer Mme Kundela, assure la militante de RESF. Celle-ci risque d’être expulsée de son appartement demain, n’ayant pas pu payer son loyer depuis l’arrestation de son mari qui était le seul à travailler. » Elle conclut : «_ Nous allons essayer de l’aider, y compris financièrement, afin d’empêcher qu’elle et ses enfants ne soient mis à la rue._ »

Police / Justice
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