Chez nous, c’est pas comme ça

Inutile d’escompter que la vérité des faits puisse dessiller le fan-club de Sarkozy.

Sébastien Fontenelle  • 9 novembre 2016 abonné·es
Chez nous, c’est pas comme ça
© Photo : Sebastien Bozon/AFP

On regarde ce qui se passe aux États-Unis, juste avant l’élection présidentielle – dont le résultat sera connu quand tu liras ces lignes. On additionne – sans éprouver pour autant le moindre commencement d’une quelconque sympathie pour Hillary Clinton – les interminables crapuleries de Trump. On constate, non sans hébétude, qu’elles ne sont d’aucun effet sur la ferveur de son électorat, qui les tient pour non avenues et lui conserve sa dévotion.

On se dit que ces f***u-e-s Yankees sont décidément incroyables, c’est pas possible d’être aussi bête : reusement que chez nous c’est pas comme ça.

Puis on se penche sur ce qui se passe de ce côté-ci du bras d’eau (salée) qui sépare Les Sables d’Olonne (Vendée) de Gloucester (Massachusetts).

On lit, par exemple, la série de longs papiers, implacablement documentés, que Le Monde vient de consacrer à, je cite, « un vaste système délictueux impliquant de hautes personnalités liées à Nicolas Sarkozy » : on voit là – on revoit, devrais-je dire, car on savait (presque) tout cela – un univers ahurissant de glauquerie barbouzarde, dont la seule description devrait à jamais empêcher que l’intéressé brigue chez nous (et derechef) la chefferie de l’État.

Mais voilà le plus stupéfiant : de la même façon que la mise en évidence de la scélératesse de Trump – ovationné par le Ku Klux Klan – ne dissuade nullement sa clientèle de lui donner de la voix, la droite décomplexée qui veut chez nous remettre Sarko dans l’Élysée n’est aucunement rebutée par la révélation que son héros se meut comme Nemo dans l’eau au contact de fréquentations, disons, interlopes [^1]. Pis encore : elle a pris le pli de traiter ces informations accablantes par le mépris qu’on réserve communément aux mensonges avérés.

Mais il est vrai qu’elle est entretenue dans cette déraison par quelques émérites professeurs de vertu – je pense notamment à l’excellent M. Ciotti –, qui emploient de considérables bouts de leur temps, exactement comme font leurs homologues états-uniens de la Trump team, à suggérer que Sarkozy est la victime d’on ne sait trop quels complots : inutile, après cela, d’escompter que la vérité des faits puisse dessiller le fan-club de l’ex-président, puisque ses supporters sont invités à croire que leur production relève d’une espèce de conspiration, et à douter, par conséquent, de leur véracité.

Et il est vrai aussi que les apprentis sorciers qui préparent ainsi, sur un mode tout orwellien, un monde fanatisé où le réel n’aura plus aucune prise et dans lequel tout s’expliquera à la seule aune du complotisme auraient tort de se gêner – puisqu’à de très rares exceptions près leurs fidèles servants de la presse dominante, loin de pointer qu’ils endossent là une immense responsabilité, continuent de les traiter, de débats en interviews, en hôtes dignes de foi.

[^1] « Interlope : qui est d’aspect équivoque, dont l’honnêteté ou l’honorabilité sont douteuses. » J’adore ce mot, je désespérais de pouvoir jamais le caser dans cette chronique : merci, Kozy.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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