Climat : « Donald Trump donne un très mauvais exemple »

Dans les couloirs de la COP 22, l’ancien vice-président du Giec Jean Jouzel nous fait part de son inquiétude après l’élection du milliardaire à la présidence des États-Unis.

Claude-Marie Vadrot  • 15 novembre 2016 abonné·es
Climat : « Donald Trump donne un très mauvais exemple »
© Photo : MOLLY RILEY / AFP

Arrivé lundi à Marrakech avec la délégation française, mais sans responsabilité particulière cette fois, Jean Jouzel choisit de s’exprimer sans souci de fâcher quiconque.

Prix Nobel de la paix avec le GIEC en 2007, le climatologue et glaciologue Jean Jouzel a été vice-président du Groupement intergouvernemental pour l’étude du climat de 2002 à 2015.
Même si ce scientifique, qui fut jusqu’à la fin de 2015 le vice-président du Groupement intergouvernemental pour l’étude du climat (Giec), n’a jamais été un adepte de la langue de bois. Dans les allées de la COP 22, il n’hésite donc pas à exprimer son inquiétude sur ce qu’il se passe à la conférence climat et sur les « lendemains climatiques » de l’élection de Donald Trump.

L’élection de Donald Trump pèse-t-elle sur la conférence ?

Jean Jouzel : Il est clair qu’en arrivant ici, les diplomates ne savaient pas trop de quoi discuter et comment accélérer les prises de décisions, alors que toutes les données disponibles montrent que la question climatique reste intégralement posée. Comme si certains se rendaient compte que, à la fois, l’accord de Paris n’est pas suffisant et qu’en même temps les politiques ne savent pas quoi en faire. Il est aussi évident que l’élection de Donald Trump n’a rien arrangé et que l’effet de sidération n’est pas dissipé. Cela empêche d’imaginer un avenir scientifique et politique rose quand il s’agit de l’avenir du dérèglement climatique. Vous avez vu la première liste des personnes qui vont l’entourer et le conseiller ? Que des réactionnaires, des religieux, des gens qui passent leurs discours à vilipender les scientifiques et à se référer à la bible plus qu’à la science.

Pensez-vous que le Giec devrait aller le voir et lui expliquer ?

J.J. : D’abord, cela ne servirait à rien et ensuite ce n’est pas le rôle du Giec. Ce serait un geste politique qui ne relève pas de notre compétence scientifique. Nous avons réussi à imposer notre indépendance, il ne faut pas risquer de la perdre. Nous sommes un groupe particulier inventé en 1988 par l’ONU pour donner des informations à notre organisme de tutelle et à tous les gouvernements de la planète. Pour ceux qui veulent nous entendre, nous sommes des lanceurs d’alerte. C’est donc au Secrétaire général des Nations Unies d’aller faire entendre raison à Donald Trump. Et éventuellement, ce peut être le rôle de la communauté scientifique américaine représentée par son Académie des sciences qui reste très ferme sur la question climatique. C’est pour cela que j’ai accepté il y a quelque mois d’en faire partie.

Le climato-scepticisme du nouveau président américain peut-il être contagieux ?

J.J. : Bien sûr, c’est un très mauvais exemple qui peut inciter d’autres pays à renoncer à appliquer l’accord de Paris et, de façon plus générale, à tous les efforts pour diminuer le réchauffement climatique. Imaginez simplement que la Chine, prenant comme prétexte le refus des États-Unis de changer de politique énergétique et industrielle, parce que cela va « avantager » les Américains, renonce à appliquer l’accord : cela en serait fini de toute chance de ralentir ou limiter le réchauffement. On reviendrait au « chacun pour soi », avec toutes les conséquences que vous pouvez imaginer.

Comment Donald Trump peut-il imposer sa politique de négation du réchauffement ?

J.J. : Tout simplement en supprimant toutes les subventions fédérales aux scientifiques, aux centres de recherche universitaires. Il a déjà annoncé et confirmé qu’il ferait disparaître l’Agence fédérale pour l’environnement et les subsides aux parcs nationaux. Tout comme il favorisera l’industrie du charbon et du pétrole et coupera les aides pour le développement des énergies renouvelables.

Mais son opinion publique ?

J.J. : Elle est encore majoritairement climato-sceptique sauf dans quelques États du pays. Ce n’est pas encore le cas en France mais on a découvert il y a quelques semaines que le candidat Nicolas Sarkozy est maintenant sur cette ligne, comme une majorité de son parti. Alors tout est hélas possible ici et ailleurs. Je dois dire que si nous évoquons la question du climat, la politique préparée par Donald Trump est également catastrophique sur le plan social et sociétal pour les Américains. Qu’il s’agisse du droit à l’avortement, du droit des homosexuels, des immigrés ou de la sécurité sociale pour tous…