La révolution des monnaies locales

Les monnaies complémentaires permettent de cibler les secteurs de la transition.

Jérôme Gleizes  • 2 novembre 2016 abonné·es
La révolution des monnaies locales
© Photo : GAIZKA IROZ / AFP

Après la crise de 1929, des monnaies locales ont émergé pour déconnecter des territoires de leur monnaie nationale, victime d’hyper-inflation ou de fuite à l’étranger. Le wir suisse existe depuis 1934 et il est la plus emblématique de celles-ci avec l’équivalent de 1,5 milliard de francs suisses échangés en 2013. Depuis 2000, il y a un renouveau de ces monnaies, pour répondre tant à une mondialisation mortifère qu’à des crises nationales persistantes. La crise argentine de 2002 a vu une dizaine de monnaies apparaître car elles sécurisaient mieux les échanges que le peso argentin. Aujourd’hui, la première monnaie locale en France est l’eusko au Pays basque, avec 450 000 équivalents euro/papier en circulation, avant son passage au numérique.

La monnaie n’est pas un simple instrument économique de paiement. C’est une construction sociale dont l’importance n’est comprise que lorsqu’elle entre en crise, c’est-à-dire qu’elle n’est plus acceptée comme moyen de paiement. C’est un lien social, et donc un facteur de socialisation.

Les monnaies locales se réapproprient cette socialisation, progressivement abandonnée à un pouvoir public, la banque centrale – garantissant la propriété d’échange de la monnaie en circulation –, et à des banques privées, les principales institutions créatrices de monnaie en circulation. Progressivement, la monnaie a perdu aussi sa propriété première d’échange dans la production et la consommation pour devenir un outil de spéculation. La loi de Kalecki – « Les capitalistes gagnent ce qu’ils dépensent, tandis que les travailleurs dépensent ce qu’ils gagnent (1) » – a été financiarisée. En 2013, rien que pour les échanges de devises, presque 2 millions de milliards ont circulé, soit 25 fois le PIB mondial nominal (2).

Avec Coopek (3), une nouvelle phase vient d’être amorcée. Ce n’est plus une simple monnaie locale, mais une monnaie complémentaire numérique, permettant de renforcer l’interconnexion des territoires. Au-delà de la logique territoriale, elle permet d’appliquer la même méthode de solvabilisation à des réseaux économiques comme Biocoop ou associatifs comme France nature environnement. La richesse créée par ces réseaux sera maintenue parmi les partenaires, permettant de cibler les secteurs de la transition énergétique, alimentaire et sociale, et de renforcer la compensation carbone. Le contrôle des usages de la monnaie permet celui des emplois et des activités, de renforcer la relocalisation de l’économie et sa transition écologique. La monnaie étant portée par une structure coopérative (Scic), le Coopek permet aussi d’associer tous ses usagers.

Malheureusement, au lieu de favoriser cet outil de résilience, les autorités monétaires obligent les monnaies complémentaires à avoir des fonds de garantie de 100 % pour chaque monnaie émise, contre 1 % pour les banques privées. La BCE préfère injecter des centaines de milliards d’euros dans le circuit monétaire des banques depuis la crise des subprimes. Mais ce ne sont pas les banques qu’il faut sauver, c’est l’humanité !

[1] Voir L’Économie des Toambapiks, Laurent Cordonnier, Raisons d’agir, 2010.

[2] Voir Jean Gadrey, http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2014/09/13

[3] www.coopek.fr

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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