Le solo tactique des communistes

Le vote de la conférence nationale du PCF en faveur d’un candidat maison désavoue certes Pierre Laurent, qui suggérait d’appeler à voter pour Jean-Luc Mélenchon. Mais en apparence seulement.

Michel Soudais  • 9 novembre 2016 abonné·es
Le solo tactique des communistes
© Photo: Michel Soudais

Les cadres communistes ne sont pas à un paradoxe près. Ils critiquaient la multiplication des candidatures à gauche. Ils affirment depuis des mois qu’il faut, pour contrer la menace de la droite et de l’extrême droite, une candidature commune de la gauche alternative. En conséquence de quoi, samedi dernier, leur conférence nationale a majoritairement décidé de « présenter un candidat issu de leurs rangs ».

Cette assemblée convoquée pour arrêter la stratégie du PCF pour 2017 était composée des 160 membres du conseil national – instance dirigeante du parti, selon ses statuts –, de délégations élues par les conseils départementaux et de celles élues par les groupes communistes à l’Assemblée nationale et au Sénat. Pour la présidentielle, deux options étaient en débat : appeler à voter pour Jean-Luc Mélenchon sans rejoindre la France insoumise, ou présenter un candidat maison pour porter les propositions et la démarche de rassemblement du PCF. Cette dernière l’a emporté par 274 voix contre 218, avec 519 votants, dont 27 abstentions. Ce résultat, même s’il ne s’agit que d’« un vote préférentiel », selon l’expression de Pierre Laurent – le dernier mot revenant aux 50 000 adhérents communistes appelés à voter dans leurs sections entre le 24 et le 26 novembre –, est un événement. « C’est la première fois que la direction du parti est contredite par les cadres intermédiaires sur un sujet aussi important », relève l’historien Roger Martelli sur Regards.fr.

De fait, ce vote constitue au premier abord un revers personnel pour le secrétaire national du PCF, lui qui s’était prononcé, à la veille de la conférence nationale, du bout des lèvres, en faveur de l’option Mélenchon. Pierre Laurent paie dix mois de tergiversations. Il s’est d’abord rallié à l’idée d’une primaire de toute la gauche, avant d’affirmer que ce serait à condition que François Hollande n’en soit pas, pour finir par y renoncer quand il est apparu que les communistes y étaient hostiles. Après le forfait de Nicolas Hulot, pour la démarche duquel il avait manifesté un intérêt, il a engagé le dialogue avec Cécile Duflot, les frondeurs socialistes et surtout Arnaud Montebourg, avant de regretter dernièrement leur engagement dans une primaire « d’une très grande incertitude ». Ce faisant, Pierre Laurent et Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, ont alimenté depuis janvier auprès des militants communistes un « tout sauf Mélenchon » dont le vote de samedi est l’expression.

Car les délégués qui ont opté pour une candidature maison forment une coalition extrêmement hétéroclite. Schématiquement, on y retrouve les communistes orthodoxes et identitaires, dont les trois textes concurrents avaient recueilli un quart des suffrages au dernier congrès, et les nostalgiques de l’union de la gauche, attachés, eux, à des alliances avec les socialistes. « Le clivage qui traverse le parti est le même depuis dix ans », a pu noter Fabienne Haloui, membre du conseil national et secrétaire de la fédération du Vaucluse : « Les camarades qui contestent aujourd’hui de pouvoir conclure un accord avec Jean-Luc Mélenchon et qui défendent le Front de gauche sont les mêmes qui, [au 35e congrès] en 2010, contestaient [sa] création et souvent refusaient de partir sur des listes autonomes du Front de gauche, et parfois s’alliaient avec le PS. »

Leur vote tient moins aux facteurs psychologiques invoqués par Pierre Laurent au micro de France Inter dimanche – « Je pense qu’il y a une exaspération d’une partie des communistes devant les portes claquées et les mots parfois un peu cinglants de Jean-Luc Mélenchon, y compris à notre égard » – qu’à des logiques stratégiques ou des tactiques différenciées, et à terme antagonistes.Les uns, animés par une conviction identitaire, sont convaincus que « le parti ne peut exister qu’en étant présent en tant que tel à toutes les élections, et d’abord la plus structurante de toutes », rappelle Roger Martelli. C’est le cas des fédérations du Pas-de-Calais, du Nord et du Rhône. D’autres, favorables à un retour à la « gauche plurielle » susceptible de leur assurer des élus, estiment qu’une candidature autonome peut être un moyen d’exister dans les médias et de défendre leurs candidats aux législatives, en attendant une éventuelle surprise à la primaire socialiste. L’option d’une candidature communiste le permet ; elle précise, sur le bulletin de vote qui sera soumis aux militants, que « cette candidature pourrait, si la situation l’exige, sur la base d’un accord politique […], se retirer au profit d’une candidature commune d’alternative à l’austérité », qui pourrait être celle d’Arnaud Montebourg. Les secrétaires des fédérations de Loire-Atlantique ou du Maine-et-Loire, notamment, se sont exprimés en ce sens. Mais aussi André Chassaigne, qui récuse la « thèse des gauches irréconciliables ». D’autres enfin n’excluent pas que le rapprochement se fasse in fine avec le candidat de la France insoumise, la candidature communiste étant alors un moyen de pression pour assurer au PCF un accord acceptable sur les législatives, scrutin crucial pour les finances de tout parti politique.

Gagner du temps jusqu’au résultat de la primaire du PS était jusqu’à ces derniers jours l’option privilégiée par la direction du PCF. Elle l’avait placée en tête des hypothèses soumises au débat préparatoire à la conférence nationale, lors du conseil national des 24 et 25 septembre. Elle s’est résolue à ne pas la soumettre au vote quand, des débats de section, est remonté le désir très majoritaire des communistes de ne plus attendre pour entrer en campagne. Cette option n’a toutefois pas totalement disparu. Elle sous-tend même la feuille de route de la résolution adoptée par 94,3 % des délégués à la conférence nationale, a expliqué en substance Olivier Dartigolles en la présentant. « Dans une situation politique à la fois très évolutive et par bien des aspects imprévisible, nous saisirons toutes les occasions, toutes les possibilités qui permettront d’empêcher un scénario politique conduisant au pire », a-t-il précisé.

Pierre Laurent n’a pas dit fondamentalement autre chose quand, défendant l’option d’un appel à voter Jean-Luc Mélenchon, avec de sérieuses réserves – maintien de l’autonomie de parole et d’initiative politique du PCF, refus d’intégrer la France insoumise et de signer sa charte législative –, il a indiqué que la recherche d’un rassemblement capable de mettre la gauche au second tour rendait toute décision de candidature « évolutive » : « Si un rassemblement plus ample grâce à notre travail et nos initiatives est possible sur la base d’un accord politique, nous saisirons la perche sans hésiter. » À cette aune, le vote de la conférence nationale, en maintenant l’incertitude sur le choix des communistes, n’est sans doute pas pour lui déplaire.