Matteo Renzi, le « casseur » cassé

Le Premier ministre italien, qui risque d’être battu au référendum du 4 décembre, incarne la longue dérive du Parti démocrate.

Olivier Doubre  • 30 novembre 2016 abonné·es
Matteo Renzi, le « casseur » cassé
© Photo : MIGUEL MEDINA/AFP

S’en prendre à la Constitution de 1947, rédigée par les forces politiques issues de la Résistance, constitue l’un de ces tabous au sein du centre-gauche transalpin devant lequel Matteo Renzi ne recule pas. Dimanche 4 décembre, les électeurs italiens sont appelés aux urnes pour approuver une opération démagogique voulue par le président du Conseil, censée « diminuer les coûts de la vie politique ». La proposition prévoit de réduire le nombre de parlementaires en supprimant notamment le Sénat, qui jusqu’ici vote la loi à égalité avec la Chambre. Ce bicaméralisme « parfait », institué contre les risques d’un pouvoir autoritaire au sortir de deux décennies de fascisme mussolinien, constituait l’un des marqueurs idéologiques du Parti démocrate (PD) – dont Matteo Renzi a pris les rênes début 2014, par une sorte de putsch contre les vieux dirigeants issus du Parti communiste [^1].

La transgression a toujours été l’une des marques de fabrique de ce jeune catholique ambitieux, maire de Florence à 34 ans, capitale de la très rouge Toscane. Avec un style brutal qui rappelle celui de Berlusconi, de -Sarkozy ou de Manuel Valls. Et non sans impudeur, puisque son premier passage à la télévision eut lieu sur la chaîne de Berlusconi, Canale 5, dans « La Roue de la fortune », où, âgé de 19 ans et soulignant fièrement ses années de scoutisme, il remporta 48 millions de lires (24 000 euros). […]

« J’ai fait quelque chose de gauche : j’ai perdu. » Ce fut son commentaire, en février 2013, après son échec aux primaires du PD pour devenir Premier ministre. On ne l’y reprendrait plus ! Quatorze mois plus tard, après avoir assommé de critiques ses camarades du parti, en particulier Enrico Letta, le Premier ministre, il se retrouve au palais Chigi, le Matignon italien. Au cours d’une campagne agressive, l’une de ses déclarations fait date : « Je veux envoyer à la casse les vieux dirigeants du Parti démocrate. »

Fort d’une popularité qui va s’effriter rapidement, Renzi lance deux grandes réformes dès son entrée en fonction : la réécriture de la Constitution – dont le référendum du 4 décembre est l’aboutissement – et une réduction d’impôts de 80 euros mensuels pour les plus bas salaires, bien visible sur chaque fiche de paie (l’impôt des salariés étant prélevé à la source). Cette mesure, censée être le marqueur à gauche de sa politique, est en réalité destinée à en faire accepter une autre : la refonte du droit du travail, qu’il nomme le « Jobs Act ». Désormais, chaque salarié peut, durant les trois années suivant son embauche, être licencié sans motif. Pire : sous couvert de lutter contre le travail au noir, les emplois les moins qualifiés peuvent être payés avec des « vouchers », des tickets acceptés par les supermarchés. Matteo Renzi décide de passer en force, contre les organisations syndicales. Il envoie donc « à la casse » également les syndicats. Pour autant, contrairement à l’objectif affirmé, ce « Jobs Act » n’a pas eu d’effet substantiel sur le niveau du chômage.

En cas de défaite au référendum du 4 décembre, Renzi a promis de démissionner. L’affaire semble mal engagée. Certes, le camp du « non » n’a ni leader ni majorité de rechange, divisé entre une minorité interne de la gauche du PD (et quelques formations sur sa gauche) et une grande partie de la droite. Mais le mécontentement contre ce « bateleur » démocrate et ses mesures antisociales est tel que l’électorat, surtout populaire, est porté à le sanctionner durement. Un nouvel échec pour une social-démocratie qui, en Italie, a depuis longtemps oublié l’adjectif « social »…

[^1] Fondé en 2007, le Parti démocrate est né de l’union des héritiers de l’aile gauche de l’ex-Démocratie chrétienne – où milita Renzi – et du Parti communiste italien, qui avait abandonné la référence au marxisme au lendemain de 1989.

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Publié dans le dossier
Une social-démocratie à l'agonie
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