« Jean-Luc Mélenchon n’a aucune sympathie pour Poutine »

Porte-parole d’un collectif qui soutient France insoumise et Jean-Luc Mélenchon, Ramzi Kebaili*, commente ici la position du candidat sur la Russie et la guerre civile en Syrie.

Olivier Doubre  • 14 décembre 2016 abonné·es
« Jean-Luc Mélenchon n’a aucune sympathie pour Poutine »
© Pavel Gerasimov/Sputnik/AFP

La position de Jean-Luc Mélenchon sur le conflit syrien et le rôle de la Russie est sévèrement critiquée au sein même de « la gauche de la gauche ». Nous avons souhaité donner la parole au représentant du collectif Citoyens pour un peuple souverain, qui se déclare complètement « en phase » avec les positions du candidat sur ce sujet.

Jean-Luc Mélenchon donne l’impression d’être très indulgent à l’égard de Poutine, en particulier sur la question syrienne. Est-ce seulement une impression ?

Ramzi Kebaili : Nous n’avons pas de sympathie pour Poutine, et ni Jean-Luc Mélenchon ni France insoumise n’en ont la moindre. Nous partons d’une analyse géopolitique globale, et constatons que les États-Unis et leurs alliés veulent affaiblir, sinon éliminer, toutes les puissances économiques ou militaires qui menacent leur hégémonie. Ce travail s’effectue aussi par la courroie de transmission que sont les médias atlantistes, qui servent à préparer l’opinion et justifier des guerres, avec des éléments de désinformation souvent flagrants. Ce qui est reproché à Jean-Luc Mélenchon est d’abord de déconstruire le discours de ces médias. Or sa ligne directrice est d’être vigilant pour dire que, en dépit d’éventuels massacres ou faits de guerre, cela ne doit pas justifier des interventions étrangères. On l’a vu en Libye où, bien que présentés comme une intervention humanitaire, les bombardements de notre gouvernement associés à d’autres ont entraîné un chaos total. Or, en tant que citoyens français, nous avons une responsabilité devant le monde entier lorsque la France intervient militairement.

Pour autant, aujourd’hui en Syrie, l’intervention étrangère est celle de la Russie, en soutien au régime de Bachar Al-Assad…

Dans ce cas précis, il y a deux lignes d’analyse diamétralement opposées. L’une est de dire qu’il y a une intervention de la Russie sans en préciser le contexte ; l’autre est de souligner qu’il y a des attentats terroristes, une intervention jihadiste étrangère, en Syrie, et que la population a peur. Ce n’était pas le cas au début du soulèvement en 2011, mais aujourd’hui, une grande partie de la population syrienne a peur du Front Al-Nosra, du Front islamique et de Daech. Nous n’avons aucune sympathie pour le régime syrien, mais la priorité devrait être d’abord d’éliminer ces groupes qui terrorisent la population syrienne et donnent des arguments à Assad. Et la vraie question à poser est celle de la responsabilité de la France et de nos alliés dans cette ingérence. Jean-Luc Mélenchon dénonce la logique de guerre contre Moscou qui s’exprime à travers les grands médias. Ceux-ci instrumentalisent tous les problèmes et tout ce qui se passe en Russie afin de déstabiliser ce pays. Tout en s’appuyant sur des éléments exacts, la propagande de l’Otan les détourne pour ses propres intérêts impérialistes contre la Russie. Il faut traiter d’égal à égal avec Poutine, qui n’est pas un interlocuteur moindre que Merkel ou Donald Trump !

Mais vous pensez réellement que la Russie est attaquée de toutes parts et surtout qu’elle propose une politique de paix en Syrie ?

Il faut quand même se poser la question de comment se voit la Russie elle-même face au reste du monde. C’est un grand pays, mais qui est entouré de bases de l’Otan, partout en Europe centrale et orientale, et qui fait en sorte de résister aux ingérences et aux provocations étrangères à ses portes. Quant à la Syrie, ce que nous savons, c’est que la Russie a proposé dès 2012, dans le cadre des accords de Genève, une solution négociée dont il est généralement admis aujourd’hui qu’elle était sérieuse et réaliste. Il s’agissait d’un processus de transition qui avait même été accepté par une partie de l’opposition. Et c’était pour la plupart des observateurs une bonne base de départ, pour bien sûr poursuivre les discussions. Qu’en est-il trois ans plus tard, en 2015 ? Les accords ont été refusés et la situation sur le terrain a vu les jihadistes aux portes du pouvoir. C’est à ce moment-là que la Russie est intervenue ! Et c’est ce qui les a empêchés de s’emparer du pouvoir ou du moins de les repousser d’une grande partie du territoire syrien.

Pourtant, de nombreuses analyses montrent que le régime syrien, aidé par la Russie, a laissé Daech se développer pour mieux affaiblir ceux qu’on appelle les rebelles…

Il est difficile de savoir précisément ce qu’il en est, surtout avec des jihadistes comme le Front Al-Nosra, qui dominent ceux que la presse occidentale appelle « les rebelles ». Mais une partie de la population syrienne s’est rangée du côté du régime car il est devenu un rempart pour elle, contre l’avancée et les exactions de ces groupes jihadistes. C’est malheureusement cela la situation aujourd’hui. Et c’est bien à partir de celle-ci qu’il faut essayer de lancer un processus de négociations comme dans tout conflit armé. La position de Jean-Luc Mélenchon depuis 2012 n’a pas varié sur ce point : cessez-le-feu, arrêt du bain de sang et négociations entre le régime et l’opposition. Quant à la nature non-démocratique du régime russe, nous insistons sur le fait que s’il s’agissait d’une dictature comme les autres mais alignée dans le camp de l’Otan, nos dirigeants seraient beaucoup plus complaisants à son égard. C’est donc en fait sa politique de non-alignement qui entraîne les nombreuses attaques à son encontre.

  • Spécialiste des relations internationales.

Monde
Publié dans le dossier
Poutine : Pourquoi il fascine
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