Plein Soleil

Une exceptionnelle Chambre en Inde par Ariane Mnouchkine et sa troupe.

Gilles Costaz  • 14 décembre 2016 abonné·es
Plein Soleil
© Michele LAURENT

Se moquer de soi-même est un art peu en usage, surtout dans le milieu merveilleux mais volontiers narcissique du théâtre. Ariane Mnouchkine, pour son nouveau spectacle, Une chambre en Inde, écrit collectivement par toute la troupe en accord avec Hélène Cixous, ose rire d’elle-même, et c’est déjà une première vertu de cette pièce de moins de quatre heures, impétueuse comme un fleuve en crue. Le personnage principal est en effet une femme metteur en scène dont l’inspiration est en panne. Dans sa chambre indienne, cette femme du nom de Cornelia a plus de haut-le-cœur que d’idées, répond au téléphone qu’elle ne sait plus quoi faire, s’affole d’une déroute qu’elle pense inévitable.

Mais l’on est en Inde, où la rupture avec la réalité et le phénomène des tours d’ivoire n’ont pas de prise. Puisque Cornelia ne voit plus le monde, le monde vient à elle et entre dans la pièce. Malheureux du monde entier, réfugiés, jeunes amants, vieux comploteurs, tueurs de Daech, exploités, exploiteurs, amies douces comme le miel, officiels raides comme la justice, gens de confort et d’inconfort : de son lit, Cornelia l’ensommeillée voit venir, surgir, tourbillonner une humanité furieusement en éveil. Le malheur des pauvres, des femmes, des humiliés est là, mais aussi la splendeur de ce qui est amour, tendresse et poésie. -Shakespeare et Tchekhov traversent en personne cette vaste pièce, tels de vieux amis discrets.

Le théâtre indien, sous la forme du Theru Koothu (forme très populaire, proche des basses castes), vient se mélanger aux codes de jeu européens. Quel est le langage le plus profond : notre langage noble ou la parade -villageoise ? Tout est léger et profond, comme Chaplin, dont les mots empruntés au Dictateur sont dits par un Charlot arabe, joué magnifiquement par Duccio Bellugi-Vannuccini.

En compagnie d’une quarantaine d’acteurs en scène, Hélène Cinque incarne Cornelia comme une petite fille dépassée avec un humour doublé de noblesse. Comme toujours, Jean-Jacques Lemêtre lance dans le ciel une musique fiévreuse de chevaux au galop. Le Soleil d’Ariane Mnouchkine s’est placé en un prodigieux zénith, où l’intemporel et le temporel, l’Orient et l’Occident sont d’une égale lumière.

Une chambre en Inde, Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, 75012 Paris, 01 43 74 24 08, jusqu’au 31 décembre, puis du 11 janvier au 10 février 2017 et du 4 mars au 21 mai.

Théâtre
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