Sauront-ils s’entendre ?

La victoire de Benoît Hamon à la primaire ouvre la porte à un rassemblement de la gauche pour 2017. Mais elle bute sur des obstacles qui semblent pour l’instant insurmontables.

Pauline Graulle  et  Hugo Boursier  • 1 février 2017 abonné·es
Sauront-ils s’entendre ?
© Photos : Joël Saget/AFP

Il y a quelque chose d’herculéen dans l’objectif annoncé par Benoît Hamon au soir de sa victoire à la primaire socialiste. Le député de Trappes (Yvelines) s’est donné trois semaines pour rassembler sa « famille » socialiste et convaincre Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise, et Yannick Jadot, candidat EELV, de « construire une majorité gouvernementale sociale, économique et démocratique ».

Sur le papier, la mission de rallier dans le même temps ces deux forces contradictoires paraît impossible. Afin de conserver l’appareil socialiste, qu’il juge apparemment indispensable à la légitimité et à la force de sa candidature, Benoît Hamon doit réussir à recoller les morceaux entre les deux gauches « irréconciliables » toujours présentes au PS. Certes, l’hémorragie d’une bonne partie de l’aile sociale-libérale vers Emmanuel Macron devrait lui faciliter la tâche (lire encadré). Restent les dizaines de députés socialistes déjà (ré)investis pour 2017, et dont la grande majorité ne s’est pas opposée à la loi travail. Lesquels ne manqueront pas de dissuader les écologistes et la France insoumise – qui redoute déjà une « solférinisation » du candidat – de jouer dans la même équipe que Benoît Hamon…

Une impasse stratégique

Cette insoluble réconciliation politique cache une autre impasse, stratégique cette fois. Depuis des années, Jean-Luc Mélenchon et, dans une moindre mesure, Yannick Jadot ont légitimé leur existence politique sur l’idée d’une rupture claire et nette avec le PS. Le candidat des Verts a posé comme préalable à une discussion avec Benoît Hamon qu’il « s’émancipe d’un Parti socialiste qui n’a jamais fait sa conversion écologiste ». Jean-Luc Mélenchon, lui, travaille depuis un an à établir un rapport direct avec le « peuple », en partant de cette idée que, pour gagner, il faut impérativement se passer, temporairement au moins, d’un parti politique. Bref, qu’il s’agit non de « rassembler » (des appareils politiques), mais de « fédérer » (autour de sa personne).

Réconcilier des « gauches irréconciliables », réconcilier des stratégies irréconciliables. Cette double équation inextricable, ce Rubik’s Cube façon Escher, Benoît Hamon a pourtant trois bonnes raisons de s’atteler à sa résolution. La première, c’est qu’en social-démocrate assumé, soutenu par plus d’un million d’électeurs, il incarne désormais le point nodal entre gauche radicale, écologistes et sociaux-libéraux. La seconde, c’est que sa personnalité posée et consensuelle joue en sa faveur davantage qu’un clivant Mélenchon. La dernière, c’est qu’il n’a pas d’autre choix que de réussir.

« On se remet à parler la même langue »

Tous ensemble ou la droite à coup sûr. C’est la petite musique que beaucoup tentent aujourd’hui d’imposer. Dimanche soir, les écolos pro-rassemblement, Cécile Duflot en tête, laissaient bruyamment éclater leur joie sur les réseaux sociaux. « Si Hamon assume cette recomposition politique inédite et fait le choix d’assumer son projet avec clarté et cohérence, cela laisserait un timing adapté pour faire des projets ensemble », estimait déjà, entre les deux tours de la primaire, David Cormand, secrétaire national d’EELV. Même volonté de travailler ensemble à l’aile gauche du PS, où Gérard Filoche martelait, toute la semaine dernière et sur tous les tons, que « Mélenchon ne gagnera pas sans Hamon, et inversement : ils sont obligés de s’entendre ». L’ex-candidat éconduit de la primaire a d’ailleurs enjoint à ses troupes d’arrêter de « taper » sur les mélenchonistes sur les réseaux sociaux…

Valse à trois temps chez les perdants

Dès l’appel de Benoît Hamon à rassembler « une majorité cohérente » avec Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, la valse des ralliements à Emmanuel Macron a démarré chez les vallsistes. « Benoît Hamon doit rassembler d’abord dans son camp », s’alarme une militante. Ce n’est pas gagné. Malgré son soutien officiel, on a du mal à croire que Manuel Valls ira voter Benoît Hamon au premier tour de la présidentielle. Philippe Doucet, député d’Argenteuil-Bezons (Val-d’Oise), vallsiste de la première heure, affirme pourtant que lui le fera, car « Manuel Valls a appelé à le faire », par respect des règles de la primaire. « Mais non, Manuel n’a jamais appelé à voter Hamon ! », le stoppe François Loncle, député de l’Eure, ne cachant pas son attirance pour Macron. Une situation ubuesque qui illustre la confusion du camp vallsiste. D’autant que nombreux sont ceux qui exècrent Emmanuel Macron, « un imposteur », selon Jean-Pierre Muller, maire de Magny-en-Vexin (Val-d’Oise), partisan du ni-ni. Pour Laurent Lhardit, conseiller d’arrondissement marseillais, « les élus qui veulent partir chez Macron vont être surpris de la fraîcheur de l’accueil ! ». Difficile donc d’évaluer l’étendue de l’hémorragie, l’effet de corps pouvant continuer à jouer. Nadia Sweeny
Bien que circonspecte sur les chances réelles du rassemblement, Clémentine Autain, leader d’Ensemble !, soutien de la candidature Mélenchon, a elle aussi vu dans la victoire de Benoît Hamon le signe « qu’on va vers une refondation politique de grande ampleur à gauche. Il a réussi à reconfigurer les termes du débat au PS. On s’est remis à parler la même langue. Ça permet au moins le dialogue ».

Autre gagnant inattendu de la primaire socialiste, le Parti communiste, qui a vu valider a posteriori, mais un peu tard, sa stratégie de rassemblement « rouge-rose-vert » qu’il avait dû abandonner, pressé par un calendrier mal fagoté, pour soutenir Jean-Luc Mélenchon. « Depuis plus d’un an, on a multiplié les initiatives, comme “Les Lundis de gauche” par exemple, pour appeler à des convergences, se félicite Olivier Dartigolles, numéro 2 du PCF. Nous prendrons toutes les initiatives pour que l’espoir continue d’exister. »

En se donnant pour mission de jouer le « trait d’union » entre la France insoumise et Benoît Hamon, le parti de Pierre Laurent retrouve une raison d’être dans la présidentielle. Cela lui offrirait aussi l’occasion de pousser son avantage dans les négociations mal emmanchées avec la France insoumise sur les législatives [1]. Personne n’a en effet oublié que lors du vote des militants en novembre, qui avait abouti à un soutien peu enthousiaste à Jean-Luc Mélenchon, les dirigeants du parti avaient évoqué l’idée d’une « clause de revoyure » après la primaire, laissant théoriquement la porte ouverte à un nouveau vote de ses adhérents, dont bon nombre penchent, pour des raisons stratégiques ou idéologiques, pour Benoît Hamon. Si des cadres socialistes assurent que les « contacts » en haut lieu se sont multipliés ces derniers jours, lâcher Mélenchon pour Hamon n’est pas à l’ordre du jour, jure Olivier Dartigolles : « On ne va pas “faire pression” sur qui que ce soit, on veut juste souligner les éléments de convergence entre toutes les sensibilités. Il faut que notre candidat [Jean-Luc Mélenchon, NDLR] comprenne qu’il y a de la diversité, de la complexité, et qu’il faut additionner et non fusionner dans un seul cadre qui serait le sien. »

La question du chef

Du côté de Jean-Luc Mélenchon, l’appel au rassemblement a été en revanche accueilli beaucoup plus fraîchement. On y voit le risque d’entraver, voire d’annuler, la précieuse dynamique du candidat insoumis… Est également mise en doute la sincérité de Benoît Hamon, qui affiche d’un côté une politique de la main tendue, et qui, de l’autre, affirme que la majorité gouvernementale ne pourra se faire qu’autour de lui. Un discours inaudible pour des militants qui contestent depuis des années l’hégémonie culturelle socialiste. « Monsieur Hamon est ambigu, que veut-il au juste ? », pointe la coprésidente du Parti de gauche, Danielle Simonnet. Et de rappeler que le socialiste aurait confié à un journaliste de France Inter qu’il ne se sentait pas de « gouverner » avec Jean-Luc Mélenchon… Même topo de Manuel Bompard, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, qui voit dans les appels du pied hamonistes rien de moins qu’« une opération d’enfumage ».

Si, au lendemain du premier tour, les « insoumis » n’avaient pas retenu leurs coups pour décrédibiliser la « mascarade » d’une primaire peu mobilisatrice, le ton a pourtant fini par s’adoucir. Après avoir ironiquement invité Benoît Hamon à « boire un bon café » la semaine dernière, Jean-Luc Mélenchon, prenait, lundi, les choses avec un peu moins de hauteur : « Cette pulsion “dégagiste” [de Manuel Valls, NDLR] ouvre les saisons de grand remuement des sociétés », reconnaissait-il sur son blog, pour mieux affirmer ensuite que… c’est sa candidature et son programme qui avaient été indirectement validés par la primaire.

Le programme, justement, n’est pas une mince affaire. Si, en réalité, les éléments programmatiques défendus par Hamon, « L’avenir en commun » de Mélenchon, et la « France vive » de Jadot, sont plus proches que ceux des socialistes et des communistes au moment du « programme commun » il y a quarante-cinq ans, de vraies pommes de discorde subsistent : le rapport à l’Europe, mère de toutes les batailles, mais aussi les positions sur la politique internationale ou la démocratie : « Mélenchon pense que les choses se font par en haut, nous qu’il faut construire avec les citoyens. C’est une opposition fondamentale, car cette différence d’approche change votre vision du monde », pointe Alexis Braud, directeur de campagne de Yannick Jadot.

Question de style. De personne. Et là, présidentielle oblige, il n’y aura de la place que pour un. « La question de fond, c’est comme d’habitude : “Qui va être le chef ?” », affirme Gérard Filoche. « Ça fait un an que Jean-Luc Mélenchon fait campagne, qu’il mobilise sur son nom des abstentionnistes, on ne va pas tout changer à la dernière minute », oppose Manuel Bompard. Moins qu’une guerre des ego, on buterait « sur la question de la présidentialisation », analyse Olivier Dartigolles, tandis que Clémentine Autain fustige « cette maudite Ve République ».

Au PS, les dés semblent jetés. Quand Alexis Bachelay, député du premier cercle hamoniste, estime, bravache, que « si les têtes n’arrivent pas à se mettre d’accord, les sondages le feront quand Hamon passera devant Mélenchon », Gérard Filoche juge de même impossible un désistement du candidat socialiste, « sinon, Cambadélis fera un putsch sur le parti ». L’ex-inspecteur du travail prône donc la méthode douce, une stratégie de contournement des institutions et des têtes « via la création d’une plateforme programmatique commune ». Place du Colonel-Fabien, on pense aussi que démarrer par le concret ne serait pas une mauvaise chose : « Commençons par les législatives afin d’assurer une majorité parlementaire de gauche », propose Olivier Dartigolles, comme s’il ignorait que la bataille a déjà commencé au niveau local entre socialistes, communistes, verts et insoumis.

Dans le fond, la clé réside sans doute dans l’avenir du Parti socialiste. Énième paradoxe de la situation, Benoît Hamon s’est fait élire à la faveur d’une primaire ouverte, par des sympathisants qui n’ont, pour la plupart, pas la moindre intention de venir adhérer rue de Solférino pour le soutenir en interne. Alors, quand Mélenchon et Jadot ne rêvent que de faire la peau du parti d’Épinay, Gérard Filoche pense au contraire que « Benoît doit prendre pleinement le pouvoir sur le parti afin de le neutraliser ». Et qu’à défaut d’un rassemblement avant le 17 mars 2017 (date du dépôt des candidatures à la présidentielle), un rapprochement puisse au moins se constituer dans l’opposition en cas de défaite.

[1] Voir Politis n° 1438, 26 janvier 2017.

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