Les emplois oubliés du bien-vivre

Les métiers du « care », un grand gisement d’emplois.

Jean Gadrey  • 1 mars 2017 abonné·es
Les emplois oubliés du bien-vivre
© Photo : BURGER / Phanie / AFP

Les analyses et scénarios sur le potentiel de création d’emplois utiles en vue d’une transition écologique, économique et sociale à la hauteur des enjeux s’améliorent et se précisent. Le dernier exemple en est le scénario Négawatt 2017 pour l’énergie et le climat, associé au scénario Afterres pour l’agriculture. S’y ajoutent les perspectives de créations d’emplois par la réduction du temps de travail. Mises bout à bout, les créations nettes que l’on peut attendre de ces deux politiques représentent peut-être deux des trois millions d’emplois qu’il faudrait ajouter pour revenir à un taux de chômage réel très faible.

Mais il existe un autre grand domaine d’emplois répondant à des besoins sociaux aujourd’hui très mal couverts et qui vont s’amplifier. Ce domaine reste le plus souvent invisible dans les projets politiques ou dans les scénarios de la gauche et des écologistes. Peut-être parce que, pour l’instant, ces emplois sont occupés à plus de 90 % par des femmes jugées « non qualifiées », alors qu’ils exigent des compétences multiples, mais non reconnues. Peut-être aussi parce que ces activités sont encore jugées moins « nobles » ou moins « productives » que celles de l’industrie ou de l’agriculture, ce qui est absurde et archaïque. Elles regroupent les emplois des services destinés à la petite enfance (crèches, assistantes maternelles…), aux personnes âgées et aux personnes handicapées, mais aussi les agents d’assistance aux enseignants de maternelle et aux activités périscolaires, auxquels on peut ajouter les aides-soignants et divers autres métiers aussi utiles que peu valorisés dans les activités artistiques, sportives et culturelles de proximité.

Existe-t-il pourtant des activités plus accordées au mot d’ordre « l’humain d’abord » que tous ces métiers du « care », où l’on prend directement soin des femmes et des hommes de tous âges et de toutes conditions sociales, si des politiques d’égalité et d’universalité des droits sont mises en œuvre ?

Un rapport récent de la Dares estime que, parmi tous les métiers de tous les secteurs, les deux qui devraient créer le plus d’emplois entre 2012 et 2022 sont celui d’aide à domicile (+ 160 000 emplois) et celui d’aide-soignant (+ 100 000). Estimations plutôt dans la poursuite des tendances récentes, ne prévoyant pas de rattrapage du déficit actuel de couverture des besoins sociaux dans ces domaines du social et du sanitaire de la vie quotidienne. Si on y ajoute plusieurs autres métiers de services aux personnes, d’aide et d’accompagnement humains, et si le « bien-vivre pour tous au quotidien » devient une priorité, ce sont des centaines de milliers d’emplois d’une grande utilité sociale qu’il faut ajouter et qu’il faut valoriser, mieux rémunérer, avec des statuts et des conditions de travail décents.

On attend des candidats aux élections à venir des propositions ambitieuses pour l’emploi, sortant ces activités de l’oubli. Des pistes existent déjà, notamment dans le récent rapport interassociatif « Un million d’emplois pour le climat [1] », ou dans le « Manifeste pour l’emploi régional en Nord-Pas-de-Calais-Picardie » de fin 2015, tous deux accessibles en ligne.

[1] Sites du Réseau action climat (RAC) et d’Attac.

Jean Gadrey professeur émérite à l’université Lille-I

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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