Toujours debout pour une autre démocratie

Des initiatives nées ou inspirées de Nuit debout émergent dans cette étrange campagne présidentielle, témoignant de la vivacité souterraine du mouvement.

Vanina Delmas  • 29 mars 2017 abonné·es
Toujours debout pour une autre démocratie
© photo : Francis Azevedo

Un joyeux tintamarre résonne sur la place de la République à Paris. Un bruit métallique de casseroles, entremêlé de voix en colère : « Un peu d’éthique chez nos politiques », « Stop à l’impunité des politiques et à la corruption », « Paris debout pour l’abolition des privilèges »… Le 18 février, les affaires d’emplois fictifs de François Fillon et de Marine Le Pen ont fait descendre les gens dans la rue, au pied de la statue qui a couvé pendant des mois les discussions parisiennes de Nuit debout. D’autres ont eu lieu à Rennes, à Lyon, à Toulouse, à Angers, à Strasbourg, à Saint-Omer… Un petit goût de rébellion citoyenne quasiment un an après l’éclosion des manifestations contre la loi travail et l’implantation de Nuit debout dans le paysage français.

Si l’initiative de cette mobilisation « Stop corruption » via les réseaux sociaux vient d’un citoyen isolé, le mouvement Nuit debout Paris en a assuré la gestion logistique, la modération des débats ainsi que la déclaration à la préfecture. L’expérience du printemps 2016 a consacré ce mouvement comme une référence en matière d’organisation de manifestations.

Depuis la rentrée de septembre, Nuit debout s’est fait discret mais ne s’est pas éteint. Quelques résistants attachés à l’occupation des places publiques continuent de s’activer. La commission éducation populaire propose toujours un espace de parole libre le week-end pour réfléchir collectivement à cette question : « Quelle société voulons-nous ? » L’interrogation anime Nuit debout depuis un an.

« Le but réel est vraiment de déplacer nos imaginaires, quitte à ce que ce soit utopique. En un an, j’ai beaucoup plus appris que si j’avais lu une bibliothèque entière, précise Adèle. Ce n’est pas simple de faire repartir un mouvement comme le nôtre, car ça ne peut pas partir d’une date mais d’un événement. L’élection présidentielle pourrait être un nouveau déclencheur. »

Une assemblée de coordination s’est formée dans la capitale tandis que, dans les autres villes, des discussions ont perduré. La nécessité de créer un inter-Nuit debout s’est concrétisée en août lors d’une rencontre à Paimpont, puis d’une autre trois mois plus tard dans le Maine-et-Loire. L’atelier démocratie a accouché d’un recueil de propositions pour développer la démocratie directe et délibérative, abolir les privilèges de la caste politique ou encore garantir le pluralisme et l’indépendance des médias. Ces « Propositions du 32 mars » s’inspirent des paroles, des idées et des sentiments des citoyens collectés au printemps dernier, notamment à Rennes et à Paris avec les « cahiers de doléances ».

Pour éviter les lenteurs et les divisions qui ont altéré l’enthousiasme autour de Nuit debout, ce noyau de militants voit désormais à long terme mais sait aussi qu’il faudra prendre des décisions pour avancer. Le samedi 32 mars (1er avril, selon le calendrier nuit-deboutiste), ces propositions seront présentées au Jardin des Tuileries, avec la possibilité de les amender. « Nous sommes un des collectifs qui travaillent sur cette question, mais nous nous inscrivons dans une dynamique avec d’autres qui planchent sur la même question, comme la Belle Démocratie ou Sénat citoyen, explique Matthieu, de Nuit debout Rennes. Nous portons une volonté de mobilisation pour organiser une réflexion sur ces changements démocratiques. Si les pouvoirs publics ne s’engagent pas à créer cet espace de débat, ce sera à nous de le faire. » Une pétition intitulée « Repenser la démocratie » se prépare. Peut-être sera-t-elle présentée aux candidats à la présidentielle.

Cette volonté de ne pas laisser la campagne aux mains des politiques et des médias traditionnels est désormais bien ancrée. Des anciens de Nuit debout Toulouse ont monté leur Web-TV pour « parler de politique et pas de course au pouvoir ». Depuis le 24 janvier, et jusqu’au second tour, des femmes et des hommes politiques échangent avec la société civile sur des questions comme : « Que peut-on encore attendre de cette élection ? » ou « L’état d’urgence écologique ». Dans la même veine, le projet Miroir 2017 propose une contre-campagne en mettant en lumière les actions citoyennes, locales ou nationales qui sont en avance sur les projets politiques. Tout est dans son slogan : « Les candidats déroulent les promesses ? La société civile a déjà ses solutions. » Par exemple, la promesse de François Fillon de « faire adopter par le Parlement un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et l’exclusion » est contrebalancée par une liste de cinq initiatives déjà en place sur le sujet, comme Les Jardins de cocagne, qui, depuis les années 1990, permettent à des chômeurs de longue durée de se réinsérer en travaillant dans des exploitations de maraîchage biologique.

Nuit debout a suffisamment marqué les esprits pour que son nom résonne comme un signe de ralliement pour tous ceux qui veulent faire évoluer la démocratie. Jour debout, un appel à occuper les places le 23 avril, se diffuse. « Nous ne voulons pas donner de consignes de vote, juste que ces rassemblements puissent être un électrochoc alertant sur le fait que le processus démocratique ne fait plus l’unanimité chez les citoyens », souligne Benjamin Ball, l’un des référents de cet appel. La différence avec Nuit debout 2016 ? L’objectif et le calendrier sont définis. Ils souhaitent organiser des ateliers pour réfléchir aux alternatives possibles puis proposer une grande votation citoyenne à l’automne pour répondre à la question : « Voulez-vous une assemblée constituante tirée au sort ? » « S’il y a quelques millions de votants, il y aura un tirage au sort de constituants représentatifs du peuple pour écrire le texte, poursuit-il. Cela doit partir d’une mobilisation populaire puis se traduire en une nouvelle loi. On est dans le temps du “et”, pas du “ou”. » Les discussions brouillonnes du printemps dernier ont infusé pendant un an, et l’appel à un printemps debout émerge à nouveau.

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Nuit debout : Un an après
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