Vidéo : des milliers de personnes ont marché pour la justice et la dignité

L’événement a mobilisé de nombreux collectifs, pour soutenir les victimes de violences policières, dans une ambiance de solidarité partagée. Reportage.

Hugo Boursier  • 20 mars 2017 abonné·es
Vidéo : des milliers de personnes ont marché pour la justice et la dignité
© Photos : Vincent Richard / Vidéo : Malika Butzbach

Le parcours était symbolique. Partant de la place de la Nation, la Marche pour la justice et la dignité s’est terminée à celle de la République. Organisée par une douzaine de familles de victimes de violences policières – dont le collectif Urgence notre police assassine fondé par Amal Bentounsi –, la manifestation a réuni environ 10 000 personnes. Elle était également soutenue par plusieurs collectifs en solidarité avec les sans-papiers, les Rroms, les migrants, mais aussi quelques syndicats, comme Solidaires et des structures CGT et FSU, ainsi que des partis d’extrême gauche. Un élargissement synonyme de récupération pour certains, comme l’a souligné notamment Assa Traoré, dans Le Monde. L’enjeu : dénoncer le racisme structurel de l’État français, renforcé par un système néolibéral qui accroît les inégalités.

© Politis

Émotion vive

« Les violences policières touchent tous les continents. Pour moi, c’est un problème contemporain et mondial », explique Yams, 22 ans, avant que la marche ne commence, place de la Nation. Venu de Bruxelles pour le week-end, le jeune homme, militant au sein du collectif Nouvelle voie anticoloniale, constate que « le monde capitaliste est en fin de vie, ce qui pousse les politiques à se fasciser ».

Devant lui, les familles de victimes de violences policières se rassemblent et tendent une longue banderole, sur laquelle les visages des personnes disparues sont dessinés en noir et blanc. Un espace est laissé libre devant elles, pour qu’un véhicule lesté d’enceintes puisse s’arrêter. Les mères, sœurs, amis, livreront leur témoignage au micro durant toute l’après-midi, jusqu’à l’arrivée finale sur la place de la République.

Sous les applaudissements des passants qui entourent ce cortège de tête, le regard bas Mme Dieng est teinté de désespoir. « Je me bats depuis dix ans » explique la mère de Lamine, un jeune homme de 25 ans décédé dans un fourgon de police le 17 juin 2007. « Aujourd’hui, voler un bonbon, pour un jeune de banlieue, c’est un an de prison, et lorsqu’un policier tue, il n’y a rien », murmure-t-elle avec émotion, alors que sa fille, Amata Dieng, qui a créé le collectif Vies volées, lui passe la main sur l’épaule.

Quelques riverains écoutent le récit des familles, depuis les balcons guindés qui surplombent le boulevard Voltaire. La mère de Wassim El-Yamni soupire qu’elle est incapable de dormir depuis l’affaire Théo. Entre ses sanglots amplifiés par le groupe électrogène, elle poursuit :

Théo peut raconter ce qui lui est arrivé, moi, c’est impossible. Mon fils ne pourra plus jamais me parler ; il a été battu à mort par plusieurs policiers. Sa ceinture était enlevée, son pantalon baissé. Mon Dieu. Je ne veux que la justice. Moi, je suis déjà morte.

Mosaïque contestataire

Suivant un rythme irrégulier, la marche s’étire toujours plus, laissant des passages libres pour circuler et distinguer la diversité des collectifs présents sur place. Karen et ses amies se trouvent avec la CSP75 – la Coordination 75 des sans-papiers – qui brandit des pancartes intitulées « Le PS m’a tuer ». C’est la présidente de l’Alcir, l’Association de lutte contre l’islamophobie et les racismes, créée en 2015 par des femmes musulmanes victimes de pressions au travail et dans la rue, suite aux attentats de janvier. Elle dénonce « le racisme d’État, encouragé par chaque gouvernement, qu’importe leur couleur politique », et dresse le constat d’une islamophobie peu à peu instituée, comme dernièrement avec la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, qui estime que les entreprises peuvent, sous certaines conditions, interdire à leurs employés le port de signes religieux – « une catastrophe », selon elle.

© Politis

Les générations se confondent, et les ambiances aussi. Ainsi voit-on des parents venus avec leurs enfants, comme Nicolas et Nacera, l’un tenant une poussette, l’autre la main de son petit garçon. « À partir du moment où les enfants sont en âge de comprendre, il nous paraît normal qu’ils soient au courant des mobilisations contre l’injustice », avance la mère derrière ses lunettes de soleil. Plus loin, des jeunes improvisent un flash mob, sourire aux lèvres, en chantant « Les policiers sont racistes, et nous on n’aime pas ça ». Ils se font alors distancer par des joueurs de trompettes, saxophones et tambourins, qui remarquent à l’horizon la Marianne de bronze sur la place de la République. La veille, elle accueillait déjà plusieurs milliers de personnes, réclamant une 6e République.

Concert nocturne

« Dirigez-vous vers le fond de la place, dans le calme, s’il vous plaît ! », lance le speaker, amusé devant la foule de photographes se bousculant pour saisir l’arrivée finale. Alors qu’une partie de la foule s’enroule autour de la statue, l’odeur de gaz lacrymogène ne laisse pas indifférents certains manifestants, bien habitués depuis le printemps anti-loi travail. Des projectiles ont été jetés sur les forces de l’ordre, à la fin du cortège, donnant lieu à une dizaine d’interpellations. Des événements violents mais largement minoritaires, plusieurs appels de membres appartenant au « black bloc » ayant appelé à rester pacifiques… Mais qui suffiront toutefois à figurer parmi les titres des articles publiés le soir même…

Marthe, 36 ans, porte son enfant sur ses épaules. Devant les premières notes venant de la scène, elle semble satisfaite de la mobilisation, « même si cela ne va pas changer du jour au lendemain, explique-t-elle, car le racisme est institutionnel en France ». Elle continue : « Moi, je suis née ici, j’ai grandi ici, pourtant on me pousse à avoir envie de quitter mon pays. » En sentant son fils s’agiter, elle lance : « Je suis noire, mon fils est métis. Encore aujourd’hui, en 2017, je sais qu’il aura la vie dure à cause de sa couleur de peau. »

La marche, après 19 heures, se transforme en concert pour la justice et la dignité. Face à une banderole accrochée par quelques-uns au pied de la statue, avec inscrit « Unis contre le fascisme, la police, ses milices », les têtes d’affiche du rap français se succèdent, mêlant, là aussi, les générations, jusqu’à la Mafia K1′ Fry, emmenée par Kery James, accueillie avec joie et respect. Au micro, Amal Bentounsi conclut la soirée, en annonçant la création d’un Observatoire national des violences policières.

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