Hongrie : Une longue dérive autoritaire

S’éloignant toujours plus des principes démocratiques de l’Union européenne, le gouvernement de Viktor Orbán s’en prend à tous les contre-pouvoirs au sein de la société civile.

Olivier Doubre  • 19 avril 2017 abonné·es
Hongrie : Une longue dérive autoritaire
© photo : ATTILA KISBENEDEK/AFP

Jean-Claude Juncker a un humour bien à lui. Lors d’un sommet européen en 2015, le président de la Commission accueillait le Premier ministre hongrois, le souverainiste autoritaire Viktor Orbán, par ce bon mot : « Salut, dictateur ! » Les démocrates hongrois, eux, rient moins. En particulier ces derniers mois, alors que la Hongrie multiplie les mesures contraires aux règles d’un État de droit.

En dépit d’une solide majorité au Parlement, Viktor Orbán doit faire face à une forte mobilisation populaire, en particulier contre deux de ses décisions. La première, élaborée sur le modèle d’une loi russe édictée par Vladimir Poutine, devrait être adoptée sous peu par le Parlement et vise à museler les ONG de défense des droits de l’homme, de l’environnement ou de lutte contre la corruption, au prétexte qu’elles seraient subventionnées par des fonds « de l’étranger ». L’autre mesure, qui a été le premier moteur de la contestation, est une loi sur l’enseignement supérieur promulguée le 11 avril, visant directement l’Université d’Europe centrale (CEU), fondée par le milliardaire américain d’origine hongroise Georges Soros (bête noire de Viktor Orbán), qui finance également un réseau de fondations et d’ONG promouvant le pluralisme démocratique. La « faculté Soros », parmi les meilleures en Europe, perdrait ainsi sa licence validant ses diplômes au sein du système éducatif hongrois.

Après plusieurs mobilisations étudiantes les jours précédents, ce sont près de 80 000 personnes qui sont descendues dans les rues de Budapest le 9 avril, pour protester contre les attaques gouvernementales envers la société civile, les ONG ou l’indépendance des médias.

Après avoir mis au pas une bonne part des institutions judiciaires, dont la Cour constitutionnelle, avec des magistrats soigneusement sélectionnés pour leur proximité avec le pouvoir, Viktor Orbán et sa majorité ont en effet pris les médias pour cible. Vieille obsession du Premier ministre nationaliste, l’information a, dès son élection en 2010 et plus encore après sa réélection en 2014, été placée sous contrôle, avec l’institution d’un Conseil des médias composé de cinq membres issus de son parti. Tous les titres doivent s’enregistrer auprès de l’État, et ce Conseil est chargé de veiller à ce que leur contenu soit « équilibré » (sic). Il ne reste aujourd’hui que quelques sites Internet indépendants, qui sont sans cesse la cible de tracasseries administratives.

La plupart des Hongrois « s’informent » donc par des chaînes de télévision qui « diffusent durant des heures la propagande gouvernementale », selon Lydia Gall, correspondante de Human Rights Watch à Budapest. Ce qui explique que les mobilisations récentes contre le pouvoir se soient essentiellement limitées à la capitale : « Les gens en province ne savent même pas ce qui se passe, les médias officiels – lorsqu’ils daignent en parler – mentent sans cesse sur le nombre de manifestants », expliquait ainsi à l’AFP un retraité dans le cortège du 12 avril.

« Le gouvernement de Viktor Orbán utilise le mandat qui lui a été démocratiquement confié pour miner les institutions démocratiques. Mais comme l’Union européenne ne réagit pas ou se contente de réactions sans conséquences, déplore Lydia Gall, Orbán va toujours plus loin en direction d’un pouvoir autoritaire. Pire, cette absence de sanctions tend à l’encourager à poursuivre en ce sens. » Sans hésiter à attaquer désormais frontalement l’Union européenne.

Le 28 mars, en effet, le Parlement a adopté une loi prévoyant la détention automatique et quasi indéfinie de tout réfugié sans papiers sur le sol hongrois, en incarcérant dans des camps déjà en service à la frontière serbe, avec miradors, gardes armés et baraques collectives. Les témoignages de mauvais traitements des forces de sécurité hongroises sur les réfugiés cherchant à traverser la Hongrie sont déjà légion. L’UE s’est alors fendue de quelques protestations orales. Mais Orbán a répliqué par une « consultation » intitulée « Stop Bruxelles », composée de six questions très orientées (avec réponses proposées) sur l’UE et la crise migratoire, à l’adresse de tous les habitants du pays. Plus qu’une provocation, il s’agit d’un véritable défi lancé à Bruxelles.

Par exemple : « Que doit faire la Hongrie lorsque, en dépit d’une série d’attaques terroristes en Europe, Bruxelles veut la forcer à accueillir des migrants entrés illégalement ? » Réponses possibles : « Permettre à ces migrants de circuler librement dans le pays » ou « les maintenir sous surveillance en attendant que les autorités statuent sur leur cas ». Tout est dit !

Si le questionnaire d’Orbán a soulevé quelques protestations de la part de Bruxelles, les réactions officielles de la Commission sont restées bien ternes. L’organe exécutif de l’Union a bien exprimé une « inquiétude générale quant à la compatibilité [des lois hongroises sur les migrants et contre les ONG] avec le droit de l’UE et les valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée ». Mais Frans Timmermans, vice-président de la Commission, a déclaré que celle-ci « n’a pas observé de menace systémique pour l’État de droit en Hongrie ». On se demande ce qu’Orbán devrait faire pour inquiéter la Commission et le social-démocrate néerlandais Timmermans.

Responsable du bureau Europe occidentale (chargé de toute l’UE) de la Fédération internationale des droits de l’homme, Elena Crespi est rentrée d’une mission d’observation à Budapest il y a quelques jours. Elle n’a pu que constater, par rapport à son précédent déplacement en 2015, « l’aggravation des violations des standards démocratiques internationaux et surtout européens en Hongrie, du fait de mesures adoptées de façon systématique et méthodique par l’exécutif hongrois pour affaiblir l’État de droit ». Mais cette juriste déplore surtout l’absence de réactions de l’UE et des autres États membres, « sans même parler du Parti populaire européen, qui n’envisage toujours pas d’expulser le parti de Viktor Orbán, Fidesz, de ses rangs ». Cette attitude frileuse signifie aussi « l’abandon des démocrates hongrois, dont les voix sont de plus en plus muselées, et qui n’ont d’autre possibilité que de se tourner, pleins d’espoir au départ mais souvent amers maintenant, vers l’UE et les autres démocraties qui en sont membres ».

Alors que la procédure incluse dans l’article 7 du traité de Rome, prévoyant des sanctions, a bien été engagée sans grande conviction à l’encontre de la Pologne – qui s’en est tout bonnement moquée –, « ce mécanisme destiné à protéger l’État de droit dans un pays membre n’a même pas été activé contre la Hongrie, explique Elena Crespi. L’UE avait été plus loin, avec l’absence de conséquences que l’on sait, aux dépens de l’Autriche quand l’extrême droite de Jörg Haider avait fait alliance avec la droite pour gouverner. Aucun courage ne semble pouvoir être mis au crédit de l’UE et de ses dirigeants ».

La seule réaction contre la politique d’Orbán est venue d’Allemagne : Berlin vient de décider de ne plus renvoyer de migrants vers la Hongrie. Désabusée, même si cela peut représenter une maigre avancée, Lydia Gall conclut dans un soupir : « C’est bien, mais c’est exactement ce que veut Orbán… »

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