Les Économistes atterrés égratignent Macron et adoubent Hamon et Mélenchon
Le collectif de chercheurs « hétérodoxes » publie deux notes analysant les propositions des candidats dans leur domaine. Rompre avec l’austérité constitue selon lui « un prérequis » pour amorcer la transition écologique.
Les Économistes atterrés publient ce jeudi deux courtes notes analysant les propositions économiques de Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron. Créée en 2010 autour d’une trentaine d’économistes partisans d’une plus grande régulation de l’économie, le collectif insiste sur l’importance d’un « changement de trajectoire » pour répondre à l’urgence climatique.
Le constat est sans appel pour le candidat d’En Marche !, qui s’engouffre selon le collectif « toujours plus loin dans l’impasse mortifère » en poursuivant les politiques libérales. Dans une note en forme de réponse aux 40 économistes qui ont publiquement soutenu, le 12 avril, le programme d’Emmanuel Macron, les « atterrés » dressent un réquisitoire contre la politique de « flexibilité de l’emploi » que le candidat veut « continuer et amplifier ». Les 17 réformes de la protection de l’emploi introduites en France entre 2000 et 2013 ont, selon eux, entraîné une progression du chômage et de la précarité. Ils réfutent également l’idée selon laquelle nos voisins européens, adeptes d’une flexibilité plus tranchée, seraient des exemples de réussite à suivre. L’Espagne a voté 39 réformes sur la même période et affiche un taux de chômage de 25 %, note ainsi le groupe d’économistes.
Il dénonce également la volonté, « inique en situation de chômage de masse », d’économiser 10 milliards d’euros sur l’assurance chômage, par un contrôle accru des chômeurs visant à augmenter le nombre de radiations.
Il juge enfin très insuffisant le plan de 15 milliards d’euros d’investissement pour la transition énergétique prévu par Emmanuel Macron pour les cinq prochaines années. « À titre de comparaison, pour rénover 500 000 habitations par an, objectif de François Hollande en 2012, il faudrait investir 10 milliards par an », écrit le collectif, jugeant également inefficaces les incitations à l’investissement, censées faire « effet levier » sur les capitaux privés (TVA réduite, crédits d’impôts, etc.).
Les orientations de Hamon et Mélenchon saluées
Dans une seconde note d’analyse des propositions financières et monétaires de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, les Économistes atterrés applaudissent l’ambition commune de rompre avec les politiques d’austérité, _« prérequis indispensable pour mettre en œuvre une véritable transition écologique », selon le collectif.
Ce dernier ne prend position pour aucun candidat. Il observe en revanche un parti pris plus tranché dans le programme de Jean-Luc Mélenchon au sujet de la régulation de la finance. C’est notamment le cas au sujet de la séparation des banques de détail et d’affaires (dites « spéculatives »), proposition ancienne des économistes atterrés inscrite au programme de Jean-Luc Mélenchon. Une « stricte séparation » doit permettre d’éviter, en cas de krach financier mondial, que l’État soit contraint à renflouer les banques responsables de la crise pour sauver les dépôts de leurs clients « lambda ». « Elle était en vigueur en France lors de la période dite des “Trente Glorieuses“, en application du programme du Conseil national de la résistance, et aux États-Unis dans les années 1930 », écrit le collectif.
Benoît Hamon préconise, lui, de « cantonner » les activités spéculatives des banques, ce qui fait craindre aux trois signataires de la note un impact « limité » et « insuffisant », à l’image de la réforme conduite en 2013 par Pierre Moscovici, qui « ne combat pas le risque systémique ».
Benoît Hamon est crédité d’un bon point en faisant sienne l’idée d’une « monnaie alternative inter-entreprise ». L’expérience menée en Suisse par la Banque coopérative WIR, et mise en lumière dans le film Demain, pourrait permettre de lâcher du lest aux entreprises en difficultés, estime le groupe d’experts. Le candidat socialiste est toutefois jugé imprécis sur la réalisation de cette mesure, comme sur sa proposition d’accroître le rôle de la Banque publique d’investissement (BPI) pour soulager les petites et moyennes entreprises, notamment en raison du fonctionnement « très complexe » de la BPI.
Moduler l’impôt sur les sociétés en fonction de l’investissement
Les économistes relèvent les « points intéressants » qui accompagnent l’idée d’assemblée démocratique de la zone euro. Proposée par l’économiste Thomas Piketty et reprise par Benoît Hamon, cette assemblée a vocation à conduire la politique budgétaire de la zone euro. Elle permettrait selon ses promoteurs de « mettre l’austérité en minorité ». Les Économistes atterrés s’interrogent toutefois sur plusieurs points. Cette assemblée engendrera-t-elle un affaiblissement de l’autonomie des États en matière de politique budgétaire ? Quel rôle sera dévolu à la banque centrale européenne dans le financement des dettes, dans ce futur modèle ? Les règles budgétaires actuelles seront-elles préservées ? Ils regrettent d’ailleurs sur ce point central les « propositions floues » de Jean-Luc Mélenchon au sujet de la dette publique. En particulier concernant le rôle de « l’audit citoyen » préconisé par le candidat de la France insoumise.
Ils relèvent également un bémol dans le programme de Jean-Luc Mélenchon : la proposition de ramener à 25 % le taux d’impôt sur les sociétés (contre 33 % actuellement), « s’inscrivant d’une manière contestable dans la tendance à la baisse de la fiscalité des sociétés résultant de la concurrence fiscale ».
Les Économistes atterrés saluent en revanche la reprise de plusieurs de leurs propositions historiques dans le programme de Jean-Luc Mélenchon (taxe sur les transactions financières, interdiction des titres hautement spéculatifs). Ils accueillent également favorablement la proposition, portée par les deux candidats, de moduler l’impôt sur les sociétés en fonction du volume de l’investissement, afin d’éviter que les bénéfices soient captés par les actionnaires.
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