L’heure des acharnés

Fort de ce que les mouvements contre la loi travail ont ébauché, le 3e manifeste du Comité invisible est un appel à la destitution.

Ingrid Merckx  • 26 avril 2017 abonné·es
L’heure des acharnés
© photo : Artur Widak / NurPhoto/AFP

Intituler un livre Maintenant, sans ponctuation, le publier dix ans après L’Insurrection qui vient et deux jours avant le premier tour de la présidentielle, c’est, au moins, un appel. Mais à quoi ? Les phrases sont plus courtes, le débit moins profus, le style encore ampoulé. Moins brillantes que dans les deux précédents manifestes, les idées s’enchaînent sur le mode du « marabout-bout de ficelle », avec des facilités – « Nous sommes tous des déchets » – mais aussi des fulgurances : « La seule mesure de l’état de crise du capitalisme, c’est le degré d’organisation des forces qui entendent le détruire. » Le Comité invisible passe du « on » au « nous », dit « l’humanité », « les corps », « ce monde » comme pour s’en extraire. Mais, dès les premières pages, se bousculent le réchauffement climatique, le Front national, la présidentielle française 2017 et Donald Trump. Signe qu’il est, lui aussi, derrière « les écrans » qu’il fustige, connecté.

Sauf que l’envie point de passer à autre chose. « Ce monde n’est plus à commenter, à critiquer, à dénoncer. Nous vivons environnés d’un brouillard de commentaires […]_, de révélations qui ne déclenchent rien. »_ S’est-il lassé de la critique, lui si infatigable ? « Nous vivons dans un monde qui s’est établi au-delà de toute justification. Ici, la critique ne peut plus rien. Non plus que la satire. » Pour preuve : Donald Trump. « Même les créateurs de South Park jettent l’éponge. » Si le langage est une valeur en perdition, dans l’ère de la post-vérité, que reste-t-il ? Et à quoi bon écrire ? « C’est qu’il y a un autre usage du langage », défend le Comité invisible, qui entend parler « depuis la vie », non pas dire « la » vérité, mais ce à quoi il tient, ce qui le tient « debout et vivant ».

En tête : l’émeute de rue, qui peut engendrer des liens, de la fraternité, des « amitiés », ose le Comité invisible, en clin d’œil à son manifeste n° 2 : À nos amis. Seul ce qui peut faire naître du commun – du « communisme » au sens premier – trouve grâce à ses yeux, comme le cortège de tête, émanation des mobilisations contre la loi travail (voir cet article de notre dossier « Nuit debout, un an après »). Au printemps 2016, la tête du cortège a grossi de tous ceux qui désertaient le _« cadavre social » et créaient « un espace politique où composer leur hétérogénéité ». En face : la nasse, image d’un pouvoir qui ne promet plus rien, sinon de « verrouiller toutes les issues ». Le Comité invisible tord le cou à la loi, à l’état d’urgence, à la fragmentation du monde, à Nuit debout – symbole de « l’assemblée qui tourne en rond » –, au revenu universel, aux institutions, à l’économie sociale et solidaire, à la police, aux « solutions » et surtout à « demain », au profit de « maintenant ». L’heure est venue de la destitution amorcée par les manifestations contre la loi travail. Il entend ne plus croire qu’en des gestes, maintenant.

Maintenant, le Comité invisible, La Fabrique, 160 p., 9 euros.

Idées
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