Ada Colau : objectif Catalogne

Deux ans après son élection, la maire de Barcelone a su imposer les thèmes sociaux. Mais face aux blocages, notamment sur le logement et le tourisme, elle lance ses forces dans la bataille régionale.

Laura Guien  • 24 mai 2017 abonné·es
Ada Colau : objectif Catalogne
© photo : Josep LAGO/AFP

Une maire en congé maternité et un premier adjoint latino-américain aux commandes. Barcelone s’apprête à fêter ainsi le deuxième anniversaire d’Ada Colau à la tête de sa mairie. Passée en un an des rangs d’un activisme anti-expulsions musclé à la tête de la cité catalane, cette édile atypique, élue au printemps 2015, avait prévenu durant sa campagne : tout allait changer. Deux ans après la victoire de ce symbole de l’anti-establishment, la municipalité « indignée » n’a pas chômé : plan d’action pour le droit au logement, plan urbanistique pour endiguer le tourisme de masse, création d’un programme d’accueil en réponse à la crise migratoire en Méditerranée… Une pléthore de propositions dont ont émergé quelques coups d’éclats, comme l’amende record infligée à la plateforme Airbnb, l’attribution d’un excédent financier municipal de 100 millions d’euros à des projets sociaux et l’organisation de la plus grande manifestation d’Europe pour réclamer l’accueil de réfugiés. Derrière ces actions, plutôt photogéniques, la route n’aura pourtant pas été facile pour l’administration de Colau.

Élue avec seulement 11 sièges sur 41 au conseil municipal, Ada Colau n’a pu faire approuver son budget que grâce à l’incapacité de ses opposants à se regrouper autour d’un nouveau maire, lors d’une procédure de vote de confiance. Depuis mai dernier, son parti, Barcelona en Comú (Barcelone en commun), plateforme partenaire de Podemos incorporant divers partis de gauche, écolos et anticapitalistes, a signé un pacte de coalition avec les socialistes catalans. Un accord qui la situe encore en dessous de la majorité et qui lui aura valu critiques et blocages à gauche, dont ceux de l’un des leaders historiques de l’indépendantisme catalan, ERC, et des anticapitalistes de la CUP. Pour Joan Serra, journaliste et auteur d’un ouvrage retraçant les premiers mois de la gouvernance de Colau à Barcelone, son administration peut néanmoins se targuer d’un premier grand succès : « Réussir à ce que des thèmes périphériques dans le débat politique, comme le logement et le tourisme, soient devenus centraux. Aucun parti en Catalogne et en Espagne n’exclut désormais la lutte contre les expulsions de son programme électoral. »

Ironie de la situation, c’est principalement ce dossier, à forte charge symbolique de par le passé d’activiste de Colau, qui donne le plus de fil à retordre à la municipalité. Car, malgré la multiplication par quatre du budget alloué au logement et la création d’une unité contre l’exclusion résidentielle ayant aidé 1 574 familles en voie d’expulsion et sanctionné les banques disposant d’appartements vides dans la cité, la mairie n’a pas honoré sa principale promesse de campagne : interrompre totalement les expulsions. Josep Maria Montaner, conseiller municipal chargé du logement à Barcelone, indique toutefois que ces dernières ont diminué, avant de préciser : « À notre arrivée à la mairie, les expulsions étaient dues au non-paiement des prêts bancaires. Aujourd’hui, plus de 80 % sont le fait de propriétaires qui augmentent le loyer. »

Cette explosion des expulsions locatives est causée par un manque d’encadrement légal des loyers, la pression touristique et une loi nationale ayant réduit la durée légale des baux. À Barcelone, la cherté du logement est en effet un véritable fléau. La mairie, qui manque d’outils légaux pour y faire face, doit de surcroît composer avec une offre de logements sociaux rachitique : moins de 1,5 % du parc immobilier de la ville.

Après quelques accrocs en début de mandat, la Plateforme des victimes du crédit hypothécaire (PAH), ancienne famille militante d’Ada Colau, reconnaît l’implication de la mairie dans la lutte pour le droit au logement : « Cette municipalité essaie d’éviter la mise en danger des droits. C’est un changement de paradigme très important », affirme son porte-parole, Carlos Macías. Ce dernier milite en faveur de l’agrandissement du parc de logements sociaux « de manière exponentielle ». Requête entendue du côté de la mairie. « Notre ambition est de doubler le parc des logements sociaux d’ici à la fin du mandat », déclare le conseiller municipal. Mais, pour Giuseppe Aricó, chercheur et membre de l’Observatoire anthropologique des conflits urbains, « le problème du logement à Barcelone reste lié à celui du tourisme ».

Faire barrage au tourisme de masse était justement l’autre grande promesse d’Ada Colau, qui a démarré son mandat avec un moratoire interdisant toute nouvelle construction hôtelière dans les quartiers jugés saturés. José Mansilla, anthropologue catalan spécialiste du tourisme, nuance : « La ville dispose de compétences limitées et doit composer avec les socialistes, partenaires fondamentaux du gouvernement et principaux responsables de l’explosion du tourisme de masse entre 1979 et 2011. » Le plan d’urbanisme proposé par l’équipe de Colau, qui parie sur le déplacement de l’offre touristique du centre vers les quartiers périphériques, ne remporte pas non plus une adhésion sans faille. « Pacifier le mécontentement des habitants du centre et contenter ceux de la périphérie via le tourisme est une promesse paradoxale. Les problématiques de ces quartiers extérieurs sont autres. Ce qu’il y manque, ce sont des garderies, des bibliothèques et surtout des logements », estime Giuseppe Aricó.

Difficile d’être à la hauteur de toutes les attentes, en particulier lorsque l’on personnifie, comme Ada Colau, la victoire des faibles contre les puissants. « On ne peut cependant pas nier qu’elle a été courageuse en prenant une série de dispositions pionnières en Europe », tempère José Mansilla. Parmi ces dernières, l’initiative « Barcelone ville-refuge », qui, par le renforcement des dispositifs d’accueil existants et la création de places de logement d’urgence pour les réfugiés, tend à faire pression sur l’État central pour répondre à la crise migratoire.

Lors de sa première année, cette disposition a créé 81 places de logement d’urgence, et vise à terme à disposer de 100 places intégralement financées par la municipalité. Un moyen de positionner la ville au centre de la citoyenneté, et Barcelone comme un réel contre-pouvoir en Espagne ? La posture se heurte parfois à certains dossiers locaux. Comme celui des « manteros », vendeurs ambulants sans papiers, en situation de grande précarité, pour lesquels Colau peine à trouver une solution légale. « Pendant que l’on milite pour l’accueil des réfugiés, des vendeurs à la sauvette se font matraquer par la police. Il y a là comme une contradiction », souligne Giuseppe Aricó.

Harmoniser les rapports entre politiques globale et locale demeure en effet l’équation à résoudre pour l’ancienne activiste. Selon Joan Serra, elle doit désormais faire face à deux défis majeurs : « La gestion de la municipalité et la transformation de sa victoire électorale en un projet politique solide au niveau régional. » Pour cela, un nouveau parti a été créé. Son objectif : remporter la présidence de la Catalogne, jeter les bases d’une nouvelle force montante à gauche et présenter une alternative à l’indépendantisme traditionnel.

Certains la disent ambitieuse, mais Ada Colau est surtout pragmatique. L’avenir de cette nouvelle force régionale étant conditionné à la réussite de son projet municipal, la « madone du logement » ne changera donc pas de chapelle. Pressentie pour la présidence de la région, elle a finalement donné priorité à la mairie, où elle devrait briguer un second mandat. L’ampleur du projet qu’elle porte et l’exigence des remarques adressées à son administration feraient presque oublier qu’elle n’en est qu’à la moitié du premier.

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