Emmanuel Macron a son plan de route

Le nouveau Président entend agir vite, y compris par ordonnances. Mais il lui faut pour cela attendre d’avoir une majorité à l’Assemblée et, dans cette attente, éviter plusieurs écueils.

Michel Soudais  • 10 mai 2017 abonné·es
Emmanuel Macron a son plan de route
© photo : Eric FEFERBERG/AFP

Emmanuel Macron a son plan de route en poche. Candidat, il a plusieurs fois déclaré ne pas croire aux « cent jours ». Ce qui ne l’a pas empêché de dévoiler, entretien après entretien, le séquençage de ses réformes. Et par quelles mesures il commencerait à imprimer sa marque au pays. Le président élu, soucieux de ne pas rééditer l’erreur de François Hollande, n’entend pas perdre de temps. Il s’agit pour lui d’agir vite dans l’espoir d’obtenir des résultats avant les prochaines élections : les européennes en 2019 et surtout les municipales en 2020. Ce que les institutions de la Ve République permettent… à condition de disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale.

L’essentiel des projets d’Emmanuel Macron est donc suspendu au résultat des élections législatives des 11 et 18 juin. Le premier écueil à franchir pour y parvenir pourrait bien être la nomination du Premier ministre et du gouvernement. Pressé par Marine Le Pen de dire quel serait son candidat à Matignon, Emmanuel Macron s’y est toujours refusé, se contentant d’affirmer le 2 mai qu’il avait « deux profils en tête […], un homme et une femme », afin de ne décevoir ni ses électeurs venus de la droite en annonçant la nomination d’une personnalité de gauche, ni ses électeurs venus de la gauche en annonçant celle d’une personnalité de droite. Au lendemain de son élection, Richard Ferrand, secrétaire général d’En marche ! et l’un de ses plus proches soutiens, n’a pas exclu cette dernière hypothèse. Tactiquement habile, elle viserait à diviser le pôle LR-UDI, moins éclaté que ne l’est le PS malgré l’élimination de son candidat le 23 avril (lire aussi notre article Sauve-qui-peut la droite !), à l’approche du scrutin. Est-ce pour maintenir le fragile équilibre _« et de droite et de gauche » de son édifice politique qu’Emmanuel Macron a été remplacé lundi à la présidence de son mouvement, rebaptisé La République en marche, par Catherine Barbaroux, ex-présidente de l’Adie, que _L’Obs présentait récemment comme sa « caution de gauche » ?

Nous ne le saurons vraisemblablement qu’après la passation de pouvoir avec François Hollande, le 14 mai. Mais la composition du gouvernement – a priori une quinzaine de ministres – sera aussi un exercice d’équilibre délicat. Emmanuel Macron a en effet déclaré vouloir nommer autant de femmes que d’hommes, et autant de personnalités issues de la société civile que du monde politique. Cette équipe, a-t-il aussi précisé, ne sera pas un gouvernement de transition dont les ministres seraient susceptibles d’être débarqués au lendemain des législatives. S’il n’entend pas les obliger à s’y présenter, il ne compte d’ailleurs pas sanctionner un éventuel échec de ceux qui se présenteraient : « Nous ne sommes pas dans un système parlementaire où, pour être ministre, il faut être un parlementaire élu », a-t-il déclaré sur Mediapart, le 5 mai.

En revanche, dans l’attente de l’élection d’une nouvelle Assemblée, le Président et le gouvernement pourront uniquement signer des décrets de nomination, faire passer par décret des dispositions qui ne nécessitent pas le vote d’une loi – elles sont peu nombreuses – et préparer des projets de loi. Dès sa prise de pouvoir, Emmanuel Macron a donc prévu de lancer un audit sur les finances publiques, « afin de disposer à la mi-juin des résultats de la gestion en cours ». Ce qui retarde d’autant l’annonce d’éventuelles mesures impopulaires.

Car ce premier mois de mise en place du nouveau pouvoir est une étape délicate : afin de ne pas s’aliéner les électeurs de la présidentielle, voire d’en gagner, les nouveaux gouvernements sont plus dans la com’ que dans l’action. En 2012, François Hollande et son gouvernement avaient décidé par décret de baisser leurs salaires de 30 %. Emmanuel Macron a prévu, lui, de faire adopter en Conseil des ministres, avant le premier tour des législatives, un projet de loi de moralisation de la vie politique qui ne pourra être débattu et devenir effectif qu’une fois l’Assemblée nationale en place.

Ce projet de loi était exigé par François Bayrou pour son ralliement. Il devrait ­interdire le népotisme pour les parlementaires et les ministres, et mettre ainsi fin aux « emplois familiaux » qui ont défrayé la chronique en début d’année ; exiger un casier judiciaire vierge de niveau B2 (hors condamnations mineures et contraventions) pour pouvoir devenir parlementaire ; interdire aux parlementaires d’exercer une activité de conseil « parallèlement à leur mandat »… Il est aussi question d’interdire aux parlementaires de briguer plus de trois mandats consécutifs, et de moduler le financement des partis en fonction du renouvellement des candidats. Mais également de fiscaliser l’indemnité représentative de frais de mandat que touchent les députés et de les obliger à justifier leurs frais par des factures. En affichant sa détermination sur ces mesures populaires, Emmanuel Macron escompte bien obtenir une majorité à sa main.

Une majorité nécessaire pour mettre en œuvre ses premières réformes par… ordonnances. Il s’agit pour l’une d’elles de supprimer les normes européennes « surtransposées » dans le droit français et d’imposer la suppression d’une norme récente pour toute nouvelle norme votée. Pour une autre, d’établir un droit à l’erreur pour tous face aux administrations, notamment en matière fiscale : « Sauf cas grave, explique-t-il, l’administration qui contrôle un individu ou une entreprise ne sera plus immédiatement dans la sanction, mais dans l’accompagnement et le conseil. » Une autre encore entend « simplifier » le droit du travail en donnant la priorité à l’accord d’entreprise pour fixer la durée du travail, et en encadrant le montant des dommages et intérêts accordés par les prud’hommes pour licenciement. C’est le retour de la loi El Khomri aggravée. Un projet rejeté par 61 % des Français, selon un sondage. Et qui peut être bloqué si les Français envoient à l’Assemblée nationale une majorité hostile. Car le recours aux ordonnances, prévu par l’article 38 de la Constitution, et souvent invoqué pour éviter de longs débats, doit être autorisé en amont par le Parlement, qui vote une loi d’habilitation, et il est de nouveau consulté en aval pour ratifier l’ordonnance adoptée en Conseil des ministres.

Le choix de légiférer par ordonnances n’en est pas moins révélateur de la volonté du jeune Président de tourner le dos au parlementarisme. S’il envisage d’instaurer d’ici à la fin de l’année une dose de proportionnelle pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale, il compte bien assortir cette réforme (applicable en 2022) du mode de scrutin d’une réduction d’un tiers du nombre de parlementaires. Et ne s’interdit pas « d’aller devant le peuple » si les parlementaires s’y opposent. Il souhaite surtout réduire à trois mois l’activité législative du Parlement, hors période budgétaire, laissant davantage de champ à la réglementation par décrets.

Au menu de la session parlementaire extraordinaire de cet été figure également un débat sur la prolongation de l’état d’urgence, qui prend fin mi-juillet. Or, jusqu’ici, Emmanuel Macron a refusé de prendre position sur celle-ci, affirmant qu’il s’en remettrait à l’avis des services engagés dans la lutte contre le terrorisme. Une prudence très politicienne.

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