Le double discours du FN

Malgré les efforts de Marine Le Pen pour apparaître comme la candidate des classes populaires, les élus Front national votent systématiquement les textes les plus libéraux.

Olivier Doubre  • 3 mai 2017 abonné·es
Le double discours du FN
© photo : FREDERICK FLORIN/AFP

Longtemps, le FN n’a pas eu l’oreille du patronat. Laurence Parisot, alors présidente du Medef, s’était même fendue d’un pamphlet contre le parti d’extrême droite en 2011 [1]. Jusqu’en 2015, le syndicat patronal affichait généralement une défiance contre les velléités « protectionnistes » hostiles à l’Union européenne du FN, dont le programme ressemblait, selon les patrons, « à celui de l’extrême gauche ». Les choses ont peu à peu changé – tout comme les sondages d’ailleurs –, et Pierre Gattaz a récemment rompu avec cette ancienne position. Il a ainsi exprimé, à la mi-janvier, sa « volonté de traiter le FN comme les autres partis à l’occasion de la présidentielle », en invitant la candidate FN à venir s’exprimer devant les principales fédérations du Medef. Déjà, l’an dernier, lors des élections régionales, Wallerand de Saint-Just avait été reçu, au même titre que Claude Bartolone (PS) et Valérie Pécresse (LR), têtes de liste en Île-de-France. Le trésorier du FN n’avait pas caché sa satisfaction : « Ils disent des méchancetés sur nous lorsqu’ils sont seuls à la télévision, mais ce sont des gens bien élevés par ailleurs. » À croire que le Medef a décidé d’être prudent – et de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier électoral…

Il est vrai que, si le FN, dans ses efforts de « dédiabolisation », tente de se faire passer pour un parti défendant les classes populaires, ses élus ne cessent d’approuver ou de proposer des mesures des plus libérales. Ce qui est d’ailleurs de longue tradition pour l’extrême droite dans l’histoire. Le FN de Jean-Marie Le Pen, dans les années 1980 et 1990, ne cachait pas ses positions en faveur d’une économie de marché dérégulée. Plus récemment, lorsque la loi travail était examinée au palais du Luxembourg, les deux sénateurs FN David Rachline et Stéphane Ravier ont déposé des amendements aggravant le texte, destinés à mieux contourner les organisations syndicales, avant de les retirer promptement pour ne pas écorner l’image du parti vis-à-vis du monde du travail. 

Mais ce sont surtout les eurodéputés FN qui révèlent le caractère néolibéral du parti, avec des votes qui en disent long sur la politique économique qu’il mettrait en œuvre s’il arrivait au pouvoir. Comme pour la loi travail, les eurodéputés FN ont voté contre tous les amendements visant à renforcer le pouvoir des salariés et de leurs représentants face aux restructurations et aux licenciements boursiers. De même, comme le souligne Pervenche Berès, députée socialiste à Strasbourg, dans un petit livre sur l’action des eurodéputés FN [2], en matière de défense des droits des travailleuses, « ils ont voté contre les huit rapports présentés au Parlement européen depuis 2014 visant à renforcer les droits des femmes. Ils se sont opposés au congé maternité harmonisé à 20 semaines partout en Europe et rémunéré à 100 % ; ils sont contre un salaire égal entre les femmes et les hommes à compétences égales ». L’eurodéputé FN Dominique Martin avait alors défendu en séance « la liberté des femmes de ne pas travailler » et de « s’occuper de leur foyer »

Les élus FN au Parlement de Strasbourg se sont opposés à toutes les mesures protectrices des salariés, comme la proposition de créer un « socle européen des droits sociaux » ou des textes prônant une meilleure protection de la santé au travail. Et si dans l’engagement 38 de son programme Marine Le Pen propose de « supprimer la directive “détachement des travailleurs” », elle s’était abstenue lors du vote au Parlement européen. Les eurodéputés FN se sont également prononcés contre des textes luttant contre l’évasion fiscale. À l’inverse, ils ont soutenu la directive « secret des affaires » qui protège les multinationales et permet de poursuivre plus facilement en justice les journalistes et les lanceurs d’alerte.

Le discours du parti d’extrême droite sait aussi s’accorder à la période électorale. Ainsi le recul de ces derniers jours sur la sortie de l’Euro vise à ne pas effrayer de potentiels électeurs, notamment les plus âgés. Et si le programme économique de la candidate FN prévoit d’augmenter un peu les bas salaires, il favorise surtout « la politique familiale et l’héritage », notamment en relevant le plafond du quotient familial, ce qui avantage directement les plus hauts revenus. On comprend mieux pourquoi Bernard Monot, économiste du FN et concepteur du programme, déclarait, après avoir été reçu par le Medef il y a moins d’un mois : « Le FN est l’ami de toutes les entreprises et je rappelle que nous sommes de vrais libéraux, partisans sans ambiguïté de l’économie de marché et de la libre entreprise. » Cela a au moins le mérite de la clarté.

[1] Un piège bleu Marine, éd. Calmann-Lévy.

[2] Son vrai visage. Témoignage sur le FN au Parlement européen, Fondation Jean-Jaurès.

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