Interpellation d’Amal Bentounsi : des médias propagent des « faits alternatifs »

Parce qu’elle filmait une intervention policière, la cofondatrice du collectif Urgence notre police assassine a été placée en garde à vue dans la nuit du 7 au 8 juin. Alors que la vidéo de son interpellation était diffusée sur les réseaux sociaux, les journaux y sont allés de leurs propres versions des faits.

Malika Butzbach  • 9 juin 2017
Partager :
Interpellation d’Amal Bentounsi : des médias propagent des « faits alternatifs »
© Photo : CITIZENSIDE / MANNONE CADORET / Citizenside

J’ai le droit de filmer », entend-on dans une vidéo diffusée mercredi 7 juin sur la page Facebook du collectif Urgence notre police assassine. C’est sa cofondatrice, Amal Bentounsi, qui en est à l’origine : elle filme en live une intervention de la police dans le quartier Pierre Collinet à Meaux (77). Après la mort de son frère, Amine, tué d’une balle dans le dos en 2012, Amal Bentounsi a fait des violences policières son engagement militant.

Non, filmer des policiers n’est pas interdit

Dés les premières minutes de la vidéo, les policiers se montrent menaçants envers la militante et s’opposent à la diffusion de la vidéo.

Je déposerai plainte Madame. Vous êtes en train de diffuser sur Facebook là ? Donc on s’y oppose… Vous ne respectez pas la loi Madame, Vous n’avez pas le droit de diffuser.

« Vous coupez le téléphone. Vous êtes interpellée pour la diffusion d’images qui est interdite », entend-on quelques secondes avant la fin de la vidéo. Amal Bentounsi a été placée en garde à vue au commissariat, avant d’en ressortir le lendemain à 16 heures.

Pourtant, depuis la circulaire du 23 décembre 2008, il est légal de filmer les forces de l’ordre sur la voie publique. D’ailleurs, le procès-verbal d’Amal Bentounsi a été annulé, nous apprend le Bondy Blog en citant un proche de la jeune femme : « Une officier de police judiciaire a rappelé que rien n’interdit à un citoyen de filmer une intervention policière. On lui a alors reproché de ne pas s’être laissée arrêter. » La militante est donc accusée de « rébellion » mais elle-même porte plainte pour violence. La vidéo de son interpellation, relayée par le compte du collectif, est effectivement parlante. Son avocate, Me Tort, a déclaré à BuzzFeed qu’Amal Bentounsi portait aussi plainte pour des « menaces de morts » proférées au commissariat.

Versions mensongères

Suite à cela, les médias se sont emballés et des versions diverses et variées ont fleuri sur de nombreux sites. Europe 1, par exemple, a affirmé le lendemain à 10 heures que la militante avait été arrêtée car « elle refusait de se soumettre à un contrôle d’identité », relayant dès les premières lignes de l’article, la version de la police. Pourtant, la vidéo du live montre que cette version est mensongère. La même thèse a d’ailleurs été diffusée sur le site de Valeurs actuelles. Pas la peine de multiplier ses sources lorsque l’on en a une.

Mais c’est surtout Le Parisien qui s’emballe et publie, quelques heures avant la libération d’Amal Bentounsi, un article affirmant qu’elle « aurait tenté d’ouvrir la portière d’une voiture de la police municipale pour en faire sortir un homme interpellé ». Cette version est infirmée par les paroles des agents de police que l’on entend dire distinctement dans la vidéo qu’elle est arrêtée parce qu’elle diffuse les images d’eux. Le surlendemain, aucune correction n’apparaît sur les sites de ces journaux. À croire que les « faits alternatifs » ont encore de beaux jours devant eux.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don