Allemagne : Le SPD à la peine

Face à une chancelière en lice pour un quatrième mandat, c’est l’ancien président du Parlement européen Martin Schulz qui mène la difficile campagne des sociaux-démocrates.

Rachel Knaebel  • 19 juillet 2017 abonné·es
Allemagne : Le SPD à la peine
© photo : JULIAN STRATENSCHULTE / DPA / AFP

Si elle sort encore une fois gagnante des élections le 24 septembre, Angela Merkel égalera le record de son ancien mentor en politique, Helmut Kohl, décédé en juin. Lui était resté chancelier pendant seize ans, de 1982 à 1998. Angela Merkel, la physicienne, l’Allemande de l’Est, la fille de pasteur entrée en politique au lendemain de la chute du Mur, est au pouvoir outre-Rhin depuis 2005. Elle bénéficie encore d’un haut niveau de popularité auprès des Allemands. Face à elle, son adversaire principal, le candidat du parti social-démocrate Martin Schulz, n’a pas maintenu l’élan d’enthousiasme qui avait accompagné sa nomination en janvier.

Au soir des élections de 2013, le parti conservateur de la CDU (Union chrétienne-démocrate), celui de Merkel, et son allié bavarois de la CSU (Union chrétienne sociale) avaient remporté 41,5 % des suffrages. Le SPD était, lui, à 25,7 %. Ratant de peu la majorité absolue des sièges au Bundestag, Merkel avait formé une grande coalition avec les sociaux-démocrates.

Après sa gestion autoritaire de la crise grecque, ce troisième mandat d’Angela Merkel restera celui de la crise migratoire et de la politique de relative ouverture menée par une chancelière de droite. Il aura aussi vu l’entrée en vigueur, sous la pression du SPD, d’un salaire minimum interprofessionnel et, en toute fin de mandat, fin juin, un vote au Bundestag pour l’ouverture du mariage aux couples de même sexe – sans manifestations homophobes ni longs débats. Le parti conservateur bloquait toute avancée sur le sujet depuis des années.

Die Linke, l’opposition sociale

Créé en 2007 par des dissidents du SPD aux côtés d’un parti néo-communiste d’ex-Allemagne de l’Est, Die Linke fête ses 10 ans cette année. Dix années passées dans l’opposition au niveau fédéral, face à des coalitions gouvernementales alliant conservateurs et sociaux-démocrates ou conservateurs et libéraux. Sorti des législatives de 2013 avec 8,6 % des voix et 64 sièges au Bundestag, au même niveau que les Verts, Die Linke se maintient aujourd’hui dans les sondages à environ 8 à 10 % d’intentions de vote. Le parti est au pouvoir dans deux Länder, en Thuringe, où Bodo Ramelow a réussi à mettre en place la première coalition d’union des gauches avec le SPD et les Verts au niveau régional, et dans le Brandebourg, en alliance avec le SPD.

Fidèle à sa vocation d’opposition à la casse des protections sociales lancée par le SPD au début des années 2000, le programme de Die Linke pour les élections de septembre vise, par exemple, un salaire minimum à 12 euros de l’heure au lieu des 8,84 euros actuellement, et un revenu minimum d’existence de 1 050 euros. Le parti veut aussi un allongement clair de la durée d’indemnisation du chômage et une réforme fiscale qui taxerait vraiment plus les hauts revenus : à 60 % à partir de 260 000 euros et 75 % au-delà d’un million, ainsi qu’un impôt sur le patrimoine à partir d’un million. Au niveau international, le parti en appelle à la dissolution de l’Otan et, au niveau européen, à des référendums dans chaque pays membre sur des traités renégociés.

Face à cette chancelière inébranlable depuis douze ans, la tâche de son concurrent social-démocrate n’est pas aisée. Sigmar Gabriel, ancien président du SPD, qui a été ministre de l’Économie dans le gouvernement d’Angela Merkel avant de prendre le portefeuille des Affaires étrangères, a décidé en janvier de ne pas concourir pour la chancellerie. C’est donc finalement Martin Schulz, président du Parlement européen depuis 2012 et député européen depuis 1994, qui a été chargé de remettre les sociaux-démocrates au pouvoir.

Ancien libraire, Martin Schulz n’est pas une figure d’oligarque néolibéral comme l’était le candidat SPD de 2013, Peer Steinbrück. Mais, après plus de vingt ans au Parlement européen, l’immersion dans la politique nationale n’est pas forcément évidente. Passé la vague de popularité au moment de sa nomination en janvier, la campagne de Martin Schulz peine à retrouver de la vigueur. Les derniers sondages placent le SPD entre 23 et 25 % d’intentions de vote, derrière une CDU entre 36 et 40 %. Les Verts se situent entre 6 et 9 %, le parti de gauche Die Linke entre 8 et 10 %, le parti libéral entre 8 et 11 % et le parti d’extrême droite AfD (Alternative pour l’Allemagne) entre 6 et 10 %.

Les résultats des élections régionales de ces derniers mois ont également fragilisé la position du candidat social-démocrate. En mai, le SPD a perdu le plus grand État-région allemand, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, avec ses 17 millions d’habitants. La perte de ce bastion traditionnel représente un camouflet. Le SPD y a été au pouvoir de manière quasi continue (avec une seule législature où la région est passée entre les mains de la droite) depuis 1966. Ce sont aujourd’hui les conservateurs qui gouvernent le Land le plus peuplé d’Allemagne, en coalition avec le parti libéral. En mars, le SPD a aussi enregistré un score décevant en Sarre. Il y avait fait campagne sur une perspective d’alliance des gauches, avec les Verts et Die Linke, pour prendre la région aux conservateurs. L’échec de cette stratégie dans la région frontalière de la Lorraine a peut-être découragé le parti de faire campagne sur un programme similaire d’union des gauches pour les législatives. Puis le SPD a perdu la tête d’un deuxième Land ouest-allemand, le Schleswig-Holstein, à la frontière danoise.

Lors de son congrès de campagne, fin juin à Dortmund, Martin Schulz ne s’en voulait pas moins combatif. « En 2009, un sondeur connu avait donné un conseil tactique à Angela Merkel : “Ne dites rien sur rien. Ne prenez aucune position concrète.” Il faut bien reconnaître que cette stratégie a eu du succès. Tandis que nous, sociaux-démocrates, nous prenons position dans toutes les campagnes, tandis que nous nous confrontons au débat public avec nos idées, dans l’autre camp, c’est le silence qui prime. Ils se disent : “Il y a Angela Merkel, ça suffit bien.” Ce modèle a marché en 2009, ce modèle a marché en 2013. Il ne marchera pas en 2017 ! », clamait Martin Schulz devant les milliers de délégués venus lancer le programme du parti pour les législatives.

Voilà pour l’attaque contre la stratégie louvoyante de Merkel et de la CDU. En ce qui concerne l’alternative proposée à la politique de la chancelière, le SPD met en avant une volonté de « justice sociale ». Concrètement, le parti propose plus d’investissements publics dans l’éducation, la recherche et les infrastructures ; une réforme fiscale destinée à soulager les petits revenus ; une légère augmentation du taux supérieur d’imposition pour les plus hauts revenus ; une séparation bancaire entre activités d’investissements et banques de détail ; plus de codécision dans les entreprises… Le SPD dit en outre vouloir lutter contre les abus de CDD et pour l’égalité salariale entre femmes et hommes.

Martin Schulz a aussi annoncé vouloir corriger les effets trop négatifs de l’Agenda 2010, le programme mis en œuvre par l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder entre 1998 et 2005, qui a beaucoup affaibli la protection sociale et ouvert grand la porte au développement de l’emploi précaire. Sous Schröder, la durée du chômage indemnisé a été réduite à seulement un an. Aujourd’hui, le SPD se propose, par exemple, d’allonger la durée d’indemnisation pour les personnes qui suivent une formation.

Mais, si les sociaux-démocrates de 2017 veulent réellement prendre leurs distances avec les réformes antisociales de l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, était-il bien judicieux d’inviter celui-ci à prendre la parole lors du grand congrès de juin ? Dans un discours long de vingt minutes, il a dit tout le bien qu’il pensait d’un duo Macron-Schulz, comme une chance pour l’avenir de l’Europe. La présence de l’ancien chancelier au congrès du SPD n’a en tout cas pas facilité la perspective d’un gouvernement d’union des gauches. C’est contre sa politique et le cours pris alors par les sociaux-démocrates que le parti de gauche Die Linke avait été créé.

Pas assez à gauche pour faire alliance avec la gauche radicale ni pour se démarquer réellement du parti de Merkel, le SPD est-il menacé d’une lente disparition, comme le Parti socialiste français ? Les deux partis restent très différents dans leur ancrage politique. Le SPD est encore à la tête de 7 des 16 Länder allemands, et il participe au gouvernement de coalition de 4 autres. Il demeure par ailleurs un parti important en nombre de militants, avec plus de 430 000 membres fin 2016, un peu plus que la CDU de Merkel. Les Verts allemands en comptent un peu plus de 60 000, Die Linke 58 000, le parti libéral 53 000 et le nouveau parti d’extrême droite, l’AfD, 26 000.

Créé en 2013 comme une formation eurosceptique, l’AfD a depuis clairement viré sur une ligne proche du Front national : islamophobe, xénophobe, contre les droits des femmes, et aussi ultralibéral et climato-sceptique. Il a raté de peu le seuil des 5 % de voix nécessaires pour entrer au Bundestag lors des dernières élections législatives. Selon toute vraisemblance, il y fera son entrée en septembre. Avec, également, le retour attendu du parti libéral, sorti du Bundestag en 2013, le Parlement allemand passerait ainsi d’une assemblée de quatre à six partis. Quelle que soit la coalition gouvernementale qui émergera des urnes après le 24 septembre, elle fera donc face à une opposition plus bigarrée que celle des quatre dernières années.

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