Le mal-être des agents de la SNCF atteint la cote d’alerte

Syndicats et psychologues pointent la souffrance au travail des cheminots alors que le début de l’année 2017 a été marqué par « un nombre exceptionnel de drames ».

Malika Butzbach  • 11 juillet 2017 abonné·es
Le mal-être des agents de la SNCF atteint la cote d’alerte
© Photo : CITIZENSIDE / Paul Chauvin / Citizenside

Il y a d’abord eu un nom, celui d’Édouard. Dans la nuit du 10 au 11 mars, cet agent SNCF, en conflit avec sa direction, s’est jeté sous un train de la gare Saint-Lazare à Paris. Les syndicats ont violemment tapé sur la table : « Depuis le début de l’année 2017, nous avons comptabilisé une vingtaine de suicides, explique Éric Meyer de Sud-Rail. Six cas rien quedurant le mois de mars. » Ces chiffres sont difficilement vérifiables car l’entreprise publique ne communique pas ces données, arguant qu’elle ne veut pas contribuer à un effet de propagation. Mais la carte des suicides au travail, mise en place par Sud, donne tout de même une idée, certes partielle, de l’étendue du problème.

Une souffrance généralisée

Les quatre syndicats représentatifs (CGT, Unsa, Sud et CFDT) se sont unis pour demander la tenue d’une table ronde spécifique, mais c’est finalement lors du Comité national d’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail, le 1er juin, que le sujet a été abordé. La direction s’est engagée à créer une commission pour suivre les risques psychosociaux. Terme spécifique : il n’est pas question de souffrance au travail. C’est pourtant cette souffrance au travail que dénonce la psychologue Françoise François après des entretiens avec une trentaine d’agents de la SNCF dans son cabinet. Elle raconte ce qu’elle a vu dans un billet publié sur Street Press. Le constat est clair : la psychologue observe une « souffrance généralisée ».

Des gens perdus, désorientés, qui ne savent pas ce qu’ils vont devenir, qui ont peur du lendemain et ont la sensation d’avoir perdu la SNCF d’avant. Beaucoup résistent au changement, sans doute parce qu’il est mis en place trop rapidement et parce qu’il n’est pas suffisamment accompagné.

À lire aussi >> Souffrance au travail : le procès d’un système

Réorganisation du travail

La cause de ce malaise ? La restructuration du travail suite à l’ouverture de la SNCF à la privatisation, datée de la loi ferroviaire du 5 août 2014. Françoise François pointe du doigt la réforme des « petits collectifs », mise en place en septembre 2016. Cette réforme renforce le travail en petites équipes de dix travailleurs et la présence des managers sur le terrain. Pêle-mêle, la psychologue raconte les cas d’employés qui voient leurs salaires diminuer de 500 euros net car ils doivent changer de missions. « Cette polyvalence est une nouvelle demande de l’entreprise », note le sociologue Julien Kubiak, sociologue spécialiste de la souffrance au travail au laboratoire Printemps. Il y voit le basculement d’une logique de métier vers un management des compétences. « On demande aux agents de s’adapter très rapidement à cette nouvelle organisation. Par conséquence, les cheminots, face à cette pression de vitesse et de polyvalence, perdent les repères identitaires qui créaient leur socialisation. Ils perdent le sens de leur travail. »

À lire aussi >> La stratégie suicidaire de La Poste

Similitudes avec l’affaire France Télécom

Les syndicats dénoncent ouvertement des méthodes de management agressives. Alors que 32 000 postes de cheminots ont disparus entre 2002 et 2014, l’entreprise a annoncé la suppression de 1 200 à 1 800 emplois dans le budget de l’année 2017. Si le mal-être des agents SNCF est ancien, ce que montre la hausse de 8 % des arrêts maladie entre 2008 et 2015, il est amplifié avec la nouvelle organisation du travail mise en place par la direction. « La productivité individuelle des cheminots a augmenté de 10 % en trois ans, affirme Éric Meyer. Pourtant, chacun d’entre eux a un voire deux plans de restructuration qui planent sur sa tête. » La SNCF se targue néanmoins d’avoir « un dispositif de prévention des risques psychosociaux conséquent, sans doute le plus abouti en France ». Insuffisant, jugent les syndicats : l’entreprise n’a pas accepté leur demande qu’une enquête interne soit ouverte de manière systématique après le suicide d’un salarié.

« Ça me donne le frisson, parce que ça me rappelle l’affaire France Télécom, la privatisation, les 22 000 salariés de trop et les méthodes radicales », conclut Françoise François dans son billet.

Économie
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Budget : « Le PS est en train de commettre une faute politique très grave »
Entretien 22 octobre 2025 abonné·es

Budget : « Le PS est en train de commettre une faute politique très grave »

Depuis lundi matin en commission, Claire Lejeune, députée insoumise de la septième circonscription de l’Essonne débat du volet recettes du projet de loi de finances 2026. Sans réussir à obtenir d’avancées majeures, alors que les débats en séance commencent vendredi.
Par Pierre Jequier-Zalc
À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur
Reportage 15 octobre 2025 abonné·es

À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté le 14 octobre contre le traité de libre-échange UE-Mercosur, à Paris, à l’appel du syndicat. Un texte qui exercerait une concurrence déloyale pour les agriculteurs français et menacerait la santé et le climat.
Par Vanina Delmas
Taxe sur les holdings : Lecornu épargne les milliardaires
Économie 15 octobre 2025 abonné·es

Taxe sur les holdings : Lecornu épargne les milliardaires

Lors de son discours de politique générale, Sébastien Lecornu a affirmé avoir entendu le désir, au sein de la population, d’une meilleure justice fiscale reconnaissant même une « anomalie » au sein de la fiscalité des plus fortunés. Sa réponse : une taxe sur les holdings qui ne répondra absolument pas au problème.
Par William Jean et Pierre Jequier-Zalc
Les grands patrons en pleine sécession
Analyse 30 septembre 2025 abonné·es

Les grands patrons en pleine sécession

En appelant à un « énorme meeting » le 13 octobre prochain à l’Accor Arena, le Medef veut moins « remettre de la rationalité dans le débat public » que témoigner qu’il est toujours plus éloigné de l’intérêt général.
Par Pierre Jequier-Zalc