À la cité des 3 000, des habitants craignent une épuration sociale

Ce week-end, dans le quartier Nord d’Aulnay, était organisée une mobilisation contre la destruction de l’immeuble appelé Le Galion. Diverses associations tente d’élaborer un contre-projet avec la population.

Malika Butzbach  • 30 octobre 2017 abonné·es
À la cité des 3 000, des habitants craignent une épuration sociale
© Photos : Malika Butzbach

Au nord de la gare RER d’Aulnay-sous-Bois, on aperçoit une grande barre latérale, surmontée d’une image du footballeur Moussa Cissoko. Ce bâtiment, Le Galion, marque l’entrée de la citée de la Rose des Vents, apparue à la une des médias lors de l’affaire Théo en février dernier. Devant elle, deux hommes discutent en agitant les bras. « Il faut la détruire cette barre, elle est bien trop moche ! », s’exclame le plus âgé. « Mais tonton, on peut faire plus que la détruire, on peut la rénover. Cela ferait changer les choses et aussi les mentalités », argue le plus jeune. Il s’agit d’Hadama Traoré, fondateur du mouvement « La révolution est en marche ». Ce samedi 28 octobre, il ouvre la « première manifestation sociale du quartier » selon ses mots : un week-end d’animation et de discussion afin de sensibiliser la population au sort du Galion, destiné à la destruction. Avec son mégaphone, il fait le tour du quartier pour « réveiller la populace », à la criée. « Venez réenchanter le Galion », hurle-t-il.

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Les commerçants « communautaires » chassés

À 14 heures, l’événement commence. La musique s’arrête et Hadama prend le micro, pour le passer rapidement à Nabil Maksene. Patron d’Hal’Discount, son commerce est menacé par HSBC qui veut le virer de son local. Mais aujourd’hui, il est venu en soutien aux commerçants de la halle qui se situe sous le Galion. Seuls sept sont encore ouverts mais ne comptent pas abandonner leur boutique.

« Nous sommes des commerces de proximité, on est utile à la société, et à l’État puisque l’on crée des emplois, on paye nos factures. Pourquoi aurions-nous moins de droits que les autres ? », s’interroge le jeune homme, faisant référence aux sommes ridicules qu’ont reçues les commerçants pour quitter les lieux. « Il faut sensibiliser les clients. Ils ne se rendent pas compte de l’utilité de ces genre de boutiques, mais si les boutiques disparaissent, là le manque se fera ressentir. Il faut se mobiliser avant ! »

Un autre pôle commercial a été construit à quelques centaines de mètres, mais il n’accueillera pas toutes les boutiques du Galion. Au milieu des robes multicolores dans son magasin, Rachid Bouaou suit de loin la mobilisation. Il montre une lettre qu’il a reçue d’Immo Mousquetaires, qui gère ces nouveaux commerces, expliquant que son activité « ne correspond pas au plan de merchandising […] prévu ». « Ils écrivent noir sur blanc ne pas vouloir des magasins qui vendent des produits dit « communautaires ». C’est de la discrimination raciale », s’indigne Hadama.

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« Une rénovation de façade »

La destruction du Galion, prévue pour l’année 2018, est la dernière étape du plan de rénovation urbaine lancé en 2004 dans les quartiers nord d’Aulnay. Développé par l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru), il bénéficie de 314 millions d’euros. « Pourtant, depuis treize ans, on n’a pas vraiment vu d’amélioration des conditions de vie dans la cité. Ce n’est qu’une rénovation de façade », affirme Hadama. Le jeune homme dénonce aussi le manque de concertation de la population dans ce projet.

Il est appuyé par Brice, qui s’occupe de l’association Force citoyenne, composante de La révolution est en marche :

Les gens sont trop occupés par leurs quotidiens pour se rendre à des réunions de concertation à la mairie vers 19 heures. Résultat, ces concertations ne vont que dans un sens et l’on ne prend pas en compte les avis des principaux concernés.

S’il estime que la question du Galion « soulève beaucoup de questions qu’il est nécessaire d’aborder », Jean-Marie Touzain, secrétaire général de la section locale du Parti communiste, affirme que « la meilleure solution sera celle portée par la majorité de la population ».

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Une démarche pour et par les habitants

Pour élaborer un contre-projet de rénovation, Hadama Traoré a fait appel à l’association APPUII. Composée de professionnels et d’universitaires spécialisés dans les sujets de la ville, ils « apportent un soutien technique aux collectifs d’habitants qui font face à des projets urbains imposés », explique Sylvain Adam, coordinateur. Leur démarche ? Collecter les propositions et idées des habitants et leur donner de l’écho, mais surtout « de ne pas parler à leur place », précise le jeune homme.

Hier, ils ont été faire le tour du quartier à la rencontre des commerçants pour les écouter sur la question du Galion. Aujourd’hui, ils tiennent une table pour laisser les habitants écrire leur ressentie ou proposer une date de réunion. Derrière eux, des pancartes multicolores sont suspendues à un fil. Dessus, on peut lire les propositions des Aulnaysiens : certains demandent un kiosque à journaux, d’autres des jeux pour les enfants.

Hadama a déjà une idée de contre-projet : « Un centre commercial, associatif et culturel, pour redynamiser le quartier. Et puis, il faudrait confier cette rénovation à des entreprises locales, pas des grands groupes dont le but est de faire des bénéfices. » Malgré l’intérêt des habitants pour la question, personne ne sait vraiment par quoi sera remplacé le Galion. Mais la crainte est surtout celle de la gentrification : le remplacement des populations aux revenus modestes par des personnes plus aisées.

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« Bâtiments à l’abandon »

« Le fait qu’ils virent les magasins dits « communautaires », ça laisse entendre qu’ils veulent changer de population », anticipe Brice de Force citoyenne. Un enjeu d’autant plus important que la cité est surnommée « les 3000 », en référence aux 3 132 logements qu’elle comprend.

Cette appréhension est partagée par Marie, qui fait partie de la branche HLM du DAL (Droit au logement) : « Si les autorités ont l’obligation de reconstruire les logements détruits, ils ne reconstruisent pas forcément les mêmes appartements, un T5 n’est pas égal à un T2. Et parfois, ils ne reconstruisent pas aux mêmes endroits. » Lorsqu’on la questionne sur l’enthousiasme de certains habitants pour la destruction du Galion, la jeune femme secoue la tête.

On laisse les bâtiments à l’abandon : on ne s’occupe plus de l’entretien, ils deviennent insalubres faute de travaux. Forcément, lorsqu’on annonce aux habitants des grands travaux de reconstruction en leur montrant des prospectus avec des belles maisons entourées de verdure, ils sont contents. On oublie juste de leur dire que ces maisons ne sont pas forcément pour eux.

Brice explique, en montrant le sud du quartier : « Il y a déjà eu des travaux pour faciliter l’accès à la propriété, mais ces habitations ne sont pas occupées par des Aulnaysiens. Peut-être que l’on pourrait proposer des tarifs préférentiels pour les anciens habitants du Galion », propose le jeune homme.

Le DAL souligne que si le phénomène de gentrification est ancien, il y a une accélération certaine dans le contexte du grand Paris. « Nous on appelle ça de l’épuration sociale. » Marie est venu en soutien ce samedi : « Lorsque les autorités veulent détruire un quartier, ils commencent par les lieux de sociabilité. Ainsi, les habitants ne peuvent plus se regrouper et donc se mobiliser. C’était important pour nous d’être ici. »

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Nouvelle forme de mobilisation des quartiers

Hadama ne cache pas son objectif : la mobilisation pour réenchanter le Galion est aussi un moyen de réveiller les populations des quartiers populaires « endormis », explique-t-il. Il est soutenu par Djamel, venu d’Angers, qui applaudit cette mobilisation « hors des institutions » :

Il ne faut pas avoir peur de faire de la politique du quotidien, comme aujourd’hui. Après tout, les habitants sont les premiers concernés, ils doivent être les premiers écoutés.

D’ailleurs, le mouvement La révolution est en marche a prévu dans cet événement une place spéciale pour la convergence des luttes. À côté des battles de danse, du concert et des animations, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes animent aussi des débats.

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Amina, qui vit ici « depuis vingt ans », est venue, poussée par son fils de 5 ans qui voulait jouer dans la structure gonflable. Mais, très vite, la maman est captivée par la réunion d’information autour des compteurs Linky. Attentive, elle écoute et récolte précieusement les prospectus distribués. « J’ai entendu parlé de ce compteur à la télévision, mais sans trop comprendre. Là, la discussion m’a beaucoup intéressée et je vais essayer d’en apprendre davantage : je ne veux pas qu’ils profitent de mon ignorance pour installer ce compteur chez moi. »

Sur le Galion, elle explique ne pas avoir vraiment d’avis, mais aime beaucoup l’idée d’un centre culturel et associatif : « Ce genre de structure manque dans le quartier. » Mais surtout, Amina « adore voir les jeunes de la cité se mobiliser autant. Cela donne confiance pour l’avenir ».

Si à la fin du week-end, la destruction du Galion est toujours d’actualité, « cela ne sert à rien de parler de réussite ou d’échec », juge Hadama Traoré. De toute façon, le jeune homme est un vrai bulldozer et compte bien sauver le bâtiment en continuant à réveiller les citoyens des quartiers oubliés.