L’État, le vent et les fossiles

Face à des événements météorologiques extrêmes, que peut l’État au moment ils se produisent ? Rien.

Geneviève Azam  • 11 octobre 2017 abonné·es
L’État, le vent et les fossiles
© photo : ERIKA SANTELICES / AFP

L****es événements écologiques récents ont réveillé des peurs car la puissance des cyclones balayant les îles des Caraïbes est littéralement surhumaine. La déréliction vécue par les habitants de ces lieux a nourri une critique des États, défaillants dans les secours, notamment aux populations les plus exposées et les plus pauvres. Si ces critiques sont justes – encore faudrait-il ajouter le laisser-faire immobilier et la réduction de ces territoires à des plateformes de spéculation financière et d’évasion fiscale –, elles éludent néanmoins une question troublante.

Face à des événements météorologiques extrêmes, à des vents qui soufflent à plus de 300 km/h, à des pluies diluviennes, face à des événements finalement improbables, que peut l’État au moment ils se produisent ? Rien. Et la technologie non plus. Quand la fonte du permafrost provoque un gigantesque glissement de terrain dans les Alpes suisses, en août dernier, emportant une partie du village de Bondo, il est aussi trop tard. Nous avions pourtant cru en avoir fini avec la fragilité de l’existence humaine sur cette Terre, nous avions imaginé une nature modérée, ordonnée selon nos plans, humanisée, rationalisée et à notre service. Et nous voilà démunis quand des terreurs, que nous croyions être celles des vieux mondes « obscurantistes », ressurgissent, quand la _« vaste, titanique, inhumaine nature », selon l’expression de Thoreau [1], se déchaîne.

Nous ne vivons pas des temps ordinaires, les déconvenues climatiques improbables, exceptionnelles, se succèdent. Si l’État est impuissant face à la force des vents, des pluies et des cyclones au moment où ils surgissent, il peut faire face à l’accélération du réchauffement climatique, notamment en nous libérant des énergies fossiles. Une « fenêtre » unique pour la loi Hulot ?

Cette loi, actuellement discutée, est connue dans ses grandes lignes. Force est de constater que la fin de l’exploitation des énergies fossiles, annoncée pour 2040, est déjà affaiblie par des exceptions : le gisement de Lacq est épargné, les concessions déjà délivrées, et dont le terme va au-delà de 2040, sont maintenues, les autres, attribuées en vertu du droit de suite [2], pourront se prolonger après 2040 si le titulaire du permis démontre que ses coûts de recherche et d’exploitation ne sont pas couverts à cette date.

Est-ce pour satisfaire le Conseil d’État, soucieux d’éviter que la loi n’apporte une « atteinte disproportionnée » à la liberté d’entreprendre ? Certainement, et c’est encore la répétition de l’ordinaire, le poids des lobbys et de la technocratie, la fable du renard libre dans le poulailler libre, en guise de réponse à une situation extraordinaire, urgente, dont les effets sont sans proportion aucune avec la « liberté d’entreprendre ».

[1] H. D. Thoreau, Les Forêts du Maine, Éd. Rue d’Ulm, 2004, p. 70.

[2] Inscrit dans le code minier, le « droit de suite » donne un renouvellement quasi-automatique à la concession pour les entreprises qui détiennent un permis de recherche.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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