Climat : Cet ouragan qui va frapper

Canicules, fonte des glaciers, disparition des espèces… Les manifestations alarmantes du dérèglement climatique s’accumulent et les évolutions s’accélèrent.

Patrick Piro  • 1 novembre 2017 abonné·es
Climat : Cet ouragan qui va frapper
© photo : GEOFF CADDICK/AFP

Le mercure qui flirte avec les 35 °C fin septembre à Montréal, des incendies de forêt dans le sud de la France fin octobre, la sécheresse estivale la plus importante jamais enregistrée sur le pourtour euro-méditerranéen… Avec le progrès des modèles de prévisions numériques régionaux, les spécialistes se montrent dorénavant en mesure d’accuser le dérèglement climatique. Pour les chercheurs du Climate Central (États-Unis), il rend « au moins dix fois plus probable » l’occurrence de cette vague de chaleur, surnommée « Lucifer ». L’épisode aurait été très rare au début du XXe siècle, désormais, il reviendra peut-être tous les dix ans. Alors que la température moyenne de la planète n’a encore grimpé « que » de 1 °C depuis l’ère industrielle (1880), principalement à partir de 1980, la période 2001-2017 concentre, elle, seize des dix-sept années les plus chaudes jamais enregistrées.

Partout les signaux concordent. Les gigantesques feux de forêt qui ont ravagé le Portugal, l’Australie ou la Californie ? La chaleur et le cumul d’années sèches sont en cause. Par manque d’eau, la production vinicole 2017 sera la pire en Europe depuis 1945. Les rendements en blé stagnent depuis près de vingt ans pour la même raison. L’agriculture est déjà perturbée sous toutes les latitudes. Le Met Office britannique (service national de météorologie) a calculé la probabilité d’un effondrement simultané de la récolte de maïs en Chine et aux États-Unis, producteurs de 60 % des volumes mondiaux. Non négligeable : par palier de 6 % par décennie, soit des famines planétaires en perspective pour les populations les plus pauvres.

Sous l’effet de températures atlantiques très élevées, l’exceptionnelle saison cyclonique a déjà vu défiler côté Caraïbes dix ouragans en dix semaines, dont Harvey, Irma et José. Et voilà que s’est égaré Ophelia sur les côtes européennes, en catégorie 3 sur un maximum de 5 : c’est unique, et tout à fait révélateur de la dérive du climat, selon les experts.

L’horizon « idéal » consisterait à limiter au cours du siècle la hausse des températures moyennes au-dessous de 2 °C, voire 1,5 °C. L’objectif est pourtant obsolète tant les efforts à accomplir pour y parvenir apparaissent démesurés. La trajectoire établie par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qui fait autorité, suppose de faire culminer en 2020 les volumes de CO2 envoyé dans l’atmosphère, cible principale car c’est le plus abondant des gaz à effet de serre généré par les activités humaines. Timide bonne nouvelle : les émissions stagnent depuis trois ans, en raison notamment du virage chinois – ralentissement de la croissance et réduction de la consommation de charbon. Mais la teneur en CO2 atteint déjà aujourd’hui 407 parties par millions (ppm), et il faudrait qu’elle retombe à 350 ppm pour tenir l’objectif de 1,5 °C : personne n’y croit. Car pour ne pas crever le plafond des 2 °C, « il faudrait réduire les émissions de 6 % par an à partir de 2020, soit une division par deux tous les dix ans – c’est énorme !, commente le climatologue Jean Jouzel. On n’y parviendra pas sans le recours à des techniques d’absorption des gaz à effet de serre ». Or, rien n’est au point de ce côté-là. La technologie de stockage souterrain du CO2 est même considérée comme excessivement risquée.

Et puis le CO2 n’est pas la seule source de préoccupation : les émissions de méthane (CH4), signature des activités agricoles et notamment de l’élevage bovin, battent des records depuis trois ans. « Viendra bientôt le moment où il faudra convenir qu’il est trop tard… », se désole Jean Jouzel. Une étude parue cet été n’attribue que 5 % de chances à la réalisation de l’objectif 2 °C, et seulement 1 % pour 1,5 °C [1].

Au-delà de ces seuils, les chercheurs rencontrent des difficultés croissantes pour décrire le comportement de la machine climatique planétaire et les conséquences à en attendre.

Illustration avec la hausse du niveau moyen des mers. En 2007, le rapport du Giec l’estimait à 59 centimètres en 2100 dans le pire des scénarios. Sept ans plus tard, il s’agissait de 98 centimètres. Et, selon les dernières observations, la hausse pourrait atteindre 1,5 à 3 mètres ! Car les glaciers fondent bien plus vite que ne l’avaient prévu les chercheurs. Le Groenland est sous surveillance, mais aussi la portion ouest de l’Antarctique, menacée de désintégration partielle. En juillet dernier, un iceberg vaste comme la Savoie (dénommé Larsen C) s’est détaché du continent glacé. Ce n’est pas une première, mais la rapidité de la rupture finale a surpris les chercheurs.

Et d’importantes disparités régionales commencent à se révéler. Dans l’Atlantique, les côtes orientales sont les plus exposées. À New York, l’océan s’est élevé de 30 % de plus que la moyenne (20 centimètres). La ville pourrait connaître une inondation majeure tous les cinq ans dès 2030 [2]. « Pour la protéger, il faudrait surélever les digues de 2 à 3 mètres dans le cas où la hausse moyenne atteindrait 1,5 mètre », indique Jean Jouzel.

Les études prospectives ne sont pourtant pas qualifiables de « catastrophistes » : elles s’appuient très régulièrement sur des scénarios prenant en compte des efforts de réduction des émissions de CO2. Sur ces bases, « les valeurs maximales de température en France pourraient facilement dépasser 50 °C à la fin du XXIe siècle » [3]. On pourra ajouter une dizaine de degrés dans certaines zones des tropiques ou du Moyen-Orient. À partir de 2070, deux Européens sur trois pourraient être affectés par des événements climatiques extrêmes, soit 350 millions de personnes contre 25 millions actuellement. Avec pour conséquence quelque 150 000 décès par an, soit une multiplication par 50 depuis le début du siècle [4]. Sans tenir compte de l’expansion de maladies tropicales vers les régions tempérées. Le dérèglement s’additionne à la destruction des milieux naturels pour éroder la biodiversité : un tiers des espèces de vertébrés, baromètre de la santé des écosystèmes, ont vu leur population décliner [5]. L’habitabilité de la Terre est en jeu, estime le philosophe Dominique Bourg, lequel réfléchit depuis plusieurs années à la survenue de la catastrophe écologique.

Et à mesure que le réchauffement approchera les 3 °C d’augmentation, le risque de franchissement de « points de bascule » s’accroîtra considérablement. Ainsi, le rétrécissement de la banquise semblant irréversible en océan Arctique, celui-ci pourrait être totalement navigable en été vers 2030. Et quelles conséquences en cascade en cas de recul massif des forêts boréales et amazoniennes ? Ou d’un arrêt du Gulf Stream, dont on constate un ralentissement depuis 2004 sous l’effet des énormes volumes d’eau douce déversés par la fonte du Groenland ? Nous n’en sommes pas encore là, mais les chercheurs en sont convaincus : les émissions de cette décennie préparent les grandes ruptures climatiques de demain.

[1] Nature Climate Change, 31 juillet.

[2] Rapport de l’Académie nationale des sciences des États-Unis (PNAS), 23 octobre.

[3] Environmental Research Letters, 19 juillet.

[4] Lancet Planetary Health, août.

[5] PNAS, 25 juillet.

À lire également : Le Changement climatique, menace pour la démocratie ?, Valéry Laramée de Tannenberg, préface Jean Jouzel, Buchet-Chastel, 144 p., 12 euros.

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