Demain, habiter la Terre

Malgré la crise écologique, de nouvelles approches émergent pour imaginer un monde plus juste. Espoir.

Patrick Piro  • 1 novembre 2017 abonné·es
Demain, habiter la Terre
© photo : VANDERLEI ALMEIDA/AFP

L’analyse s’est imposée en quelques années : dérèglement climatique, récessions économiques, pénuries alimentaires, menaces terroristes, explosion des migrations… sont les manifestations d’une crise globale qui affecte toute la planète. Et du côté des intellectuels et des militants, la pensée a aussi changé de braquet. Attac décrit ainsi des approches nouvelles en émergence qui recèlent des réponses systémiques insoupçonnées, à la fois par une conceptualisation puissante et par leur potentiel à intervenir concrètement sur le réel [1].

En 2009, le Forum social mondial de Belém (Brésil) assiste à l’expression étonnamment vivante des cultures indigènes d’Amérique latine. Les cosmovisions des sociétés andines aymaras et quechuas ont inspiré la théorisation latino-américaine du « Buen vivir » (ou Vivir bien, le bien-vivre) : la construction de sociétés visant l’harmonie dans toutes les dimensions de leurs interactions – espace, temps, êtres vivants, générations passées et à venir, etc. Donc, pas de place au concept occidental de « développement » alimenté par une croissance sans limite.

La Bolivie et l’Équateur, à population majoritairement indigène, se sont saisies du Buen vivir, certes très imparfaitement, mais au point d’introduire dans leur Constitution des droits pour la Terre-mère dans une approche non seulement indigène mais aussi scientifique, éthique et juridique, souligne le Bolivien Pablo Solón (lire notre entretien ici). On peut facilement y référer la montée d’un droit international revendiquant de pénaliser les atteintes à la nature – des « écocides » menaçant la poursuite de la vie sur la planète. Des droits « à exister » pour la nature, c’est aussi donner aux générations futures des garanties pour bien vivre, défend la juriste Valérie Cabanes dans son ouvrage _Homo natura, (Buchet Chastel).

En germe dans les années 1970, la remise en question du dogme de la croissance s’est fortement radicalisée depuis quinze ans. Là encore, la « décroissance » (ou postcroissance) est bien plus qu’une alternative au capitalisme néolibéral, insiste l’économiste Geneviève Azam [2], elle entend renverser un système de valeurs qui asservit à l’économie mondialisée la vie sociale, les ressources naturelles, la culture, la démocratie, etc. Idem avec la montée de la « déglobalisation » : l’aspiration à inverser le mouvement de la mondialisation se conceptualise comme un dépassement prometteur, loin des replis. Le retour à un fort ancrage local de l’économie, des décisions et des échanges apporte des solutions sur tous les plans de la crise globale, démocratie comprise.

Il est frappant de constater que ces visions « émergentes » procèdent souvent de la revalorisation d’anciennes pratiques – voire de « sagesses », tant tout cela fleure le retour du bon sens. Ainsi des « communs », issus du droit médiéval d’accès collectif aux pâtures. Le concept moderne de « biens communs de l’humanité » s’oppose au mouvement généralisé de privatisation (jusqu’à la biodiversité, l’éducation, etc.). À différencier, signale le chercheur en sciences sociales Christophe Aguiton [3], de la notion de « bien public » : les biens communs sont l’espace de l’implication directe des acteurs, ce qui vaut aussi remise en cause de leur gestion par les États, souvent aussi productivistes que les multinationales.

De nouveaux acteurs affirment une place spécifique. Les mouvements de femmes ont donné naissance à « l’écoféminisme », dans les pays du Sud initialement. La crise écologique clive selon le genre, constatent-elles, car ses conséquences les lèsent plus que bien d’autres groupes sociaux. L’écoféminisme, explique la psychologue Elisabeth Pedero Beltran, entend dissoudre la domination du patriarcat et du capitalisme dans une analyse réconciliant culture et nature, femme et homme, ainsi que femme, science et savoirs traditionnels.

Car enfin, pourquoi la « loi de la jungle » actuelle serait-elle pérenne ? La concurrence et l’individualisme, « toxiques » pour le monde, sont contestés par le recours à la solidarité, l’altruisme, la coopération ou la bonté, réhabilitant des principes faussement désuets, constatent Pablo Servigne et Gauthier Chapelle [4]. Chercheurs indépendants, ils défendent la thèse réjouissante que « l’entraide », dont ils trouvent la manifestation dans tout l’éventail du vivant, est un mécanisme naturel mais étouffé, suffisamment puissant pour sortir des multiples impasses de la crise.

[1] Le monde qui émerge, LLL, 264 p., 13,50 euros.

[2] Ibid op. cit.

[3] Ibid.

[4] L’Entraide, l’autre loi de la jungle, LLL, 378 p., 22 euros.

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