Nouvelle-Calédonie : « On n’est pas sortis des rapports coloniaux »

Ancien président de la Ligue des droits de l’homme, Michel Tubiana explique les enjeux du référendum prévu pour 2018 sur l’indépendance de cette collectivité française d’outremer.

Olivier Doubre  et  Marine Caleb  • 8 novembre 2017 abonné·es
Nouvelle-Calédonie : « On n’est pas sortis des rapports coloniaux »
© photo : THEO ROUBY/Hans Lucas/AFP

Très actif en Nouvelle-Calédonie, Michel Tubiana revient sur l’incomplétude des accords d’autonomisation de la collectivité française et regrette que la France ne prenne pas ses responsabilités. Encore aujourd’hui, sur fond d’intérêts économiques, des dysfonctionnements non seulement discriminent majoritairement les Kanaks et les Wallisiens, mais réduisent les capacités d’autonomie de la collectivité.

Quels problèmes se sont posés sur l’assiette électorale pour le référendum de 2018 sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie et sur quoi les différentes parties se sont-elles mises d’accord ?

Michel Tubiana : Le problème était essentiellement la composition du collège électoral, gelé aux personnes inscrites sur les listes particulières au moment de la signature des accords de Nouméa [le 5 mai 1998] et leurs descendants, ceux qui pouvaient justifier d’une résidence. Cela, pour des raisons multiples, notamment liées aux carences de l’État français, qui a indiqué avoir perdu un certain nombre de listes. Beaucoup de gens ne faisaient donc pas partie de ce seul collège électoral habilité à voter au référendum, et notamment beaucoup de Kanaks, qui n’étaient pas inscrits sur les listes électorales avant. À l’issue de la négociation, une cote mal taillée a été trouvée pour définir le collège électoral.

Un point assez positif de l’accord, c’est que l’inscription est d’office, c’est-à-dire que les gens n’auront pas à faire la démarche. Et je pense que c’est un élément important de cet accord.

Selon les rapports de force communautaires, quelle sera, selon vous, l’issue du référendum ?

Je ne suis pas du tout convaincu qu’il y ait une majorité d’indépendantistes en faveur d’une indépendance pure et dure aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie. Cela, y compris parce que, même si une très grande majorité des Kanaks voteront pour l’indépendance, ce n’est pas le cas de tous les Kanaks, s’ils votent. Aussi, il n’est évidemment pas question que les Kanaks transigent sur la reconnaissance de leur identité, sur les usages de leur langue, sur la place des institutions coutumières.

D’une part, le message n’est probablement pas suffisamment passé dans les autres communautés, c’est-à-dire les Européens, mais aussi les Wallisiens, qui représentent une communauté extrêmement importante. D’autre part, il y a de manière résiduelle ceux qui voteront non et, en proportion plus importante, ceux qui ne voteront pas, pour des raisons variées.

Les inégalités sociales se sont-elles réduites depuis trente ans ?

Fondamentalement, le système n’a pas changé. Cela reste une économie de comptoir, que l’État a refusé de juguler. Deux choses néanmoins ont changé. D’abord, le monde kanak s’est approprié une partie des ressources minières, avec les usines du nord. Le second point, c’est que depuis les événements (voir ici), la métropole a envoyé beaucoup plus d’argent en Nouvelle-Calédonie. Avant, on envoyait 100 millions, 10 irriguaient le monde kanak et 90 étaient privatisés, sans même avoir recours à des moyens illégaux. C’est juste la logique du système. Maintenant, on envoie 200 millions, 20 vont aux Kanaks, cela fait effectivement plus, mais plus encore pour les autres. On est dans une situation économique éminemment relative, avec une quasi-monoproduction de nickel, alors que la Nouvelle-Calédonie, à l’inverse de la Polynésie, possède des ressources agricoles, minérales et halieutiques d’un potentiel extrêmement important.

Vous dites « économie de comptoir », qualifieriez-vous encore l’économie calédonienne de coloniale ou de néocoloniale ?

Si on définit par colonial ce qui rapporte à la métropole, aujourd’hui, je ne pense pas que la Nouvelle-Calédonie rapporte à la métropole, si ce n’est par la place qu’elle occupe géographiquement et par le domaine maritime qu’elle donne à la France, qui est gigantesque. Entre la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie et ses autres confettis de l’empire, la France est la deuxième puissance maritime mondiale. Là, il y a un intérêt majeur.

Ce que l’on peut reprocher aux différents gouvernements depuis 1988, y compris à celui de Michel Rocard, c’est qu’ils ont toujours pris une position d’arbitre, or c’est bien ce que la France n’est pas dans cette affaire. Elle est responsable de la situation et, surtout, d’une forme de démission qui a empêché le territoire de se développer comme il l’aurait dû.

En même temps, les accords de Matignon et de Nouméa ont permis des choses : le fait que la culture kanake ait droit de cité est un important progrès, le fait que le statut du territoire entraîne une dévolution des compétences à son profit et en dépossède l’État est positif. Donc on n’est plus dans la même situation coloniale et caricaturale qui existait avant 1982, mais on n’est pas sortis d’un certain nombre de contingences coloniales et de rapports humains coloniaux. Des problèmes déjà en gestation au moment des événements de 1982 ont pris une place plus importante au gré du déracinement social de toute une partie des jeunes Kanaks ou des autres. Il suffit de voir la population carcérale pour se rendre compte du problème de délinquance des jeunes, notamment des Kanaks et des Wallisiens.

Craignez-vous le retour de violences entre communautés à l’issue du référendum, et ce quel que soit le résultat ?

C’est possible, mais ce n’est pas dans l’air du temps. La vraie question qui se pose, en dehors du fait de continuer à mettre à bas tous les phénomènes coloniaux qui peuvent exister, c’est quel est le contenu de la question de l’indépendance ? Elle ne va pas être facile à formuler, car elle implique des choix politiques qu’une partie de la droite n’est pas prête à faire, et probablement une partie des Kanaks non plus.

Un schéma avait été posé par Edgard Pisani, le ministre chargé de la Nouvelle-Calédonie du gouvernement Laurent Fabius, en 1985, avec l’indépendance-association qui inscrivait l’indépendance dans une continuité. Elle peut aussi être claire et nette : on coupe, en maintenant seulement des liens de coopération.

Mais la question des terres n’est toujours pas résolue à cause de l’État français, qui, dans le temps imparti, n’a pas accéléré – ou ne l’a pas voulu – le transfert de compétences au Territoire. Un rapport a été publié à la fin de l’année 1989 sur l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (Adraf), un établissement public d’État. Il mettait en exergue le pillage par les troupes de Jacques Lafleur. Il y avait de quoi envoyer tout le monde en correctionnelle. Michel Rocard a étouffé le rapport au motif que la France était arbitre et n’avait pas à se positionner. Cette question doit être réglée, mais ne le sera pas du jour au lendemain, y compris à cause des problèmes de revendications à l’intérieur du monde kanak.

Michel Tubiana Avocat

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