Politique de la ville : « Macron préfère la seule logique marchande à la démocratie »

La baisse des dotations aux collectivités locales, le gel des contrats aidés et la coupe des APL précarisent encore plus les populations des quartiers populaires. Marie-Hélène Bacqué, sociologue et urbaniste, décrypte les mesures annoncées.

Hugo Boursier  • 16 novembre 2017 abonné·es
Politique de la ville : « Macron préfère la seule logique marchande à la démocratie »
© PHOTO : FRANCOIS LO PRESTI / POOL / AFP

Sa visite était attendue. Mardi dernier, à Tourcoing (Nord), Emmanuel Macron a détaillé ses mesures sur la politique de la ville, après une visite à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et à Roubaix (Hauts-de-France). Dans ce que le Président a appelé être une « mobilisation nationale » à l’endroit des quartiers populaires, se trouvent des mesures comme le retour des emplois francs sans limite d’âge ni d’ancienneté à Pôle emploi, des opérations de testing pour pénaliser les entreprises qui opèrent des discriminations sur les CV, ou encore le réinvestissement de l’État à hauteur de 10 milliards d’euros dans l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).

En 2013, la sociologue et urbaniste Marie-Hélène Bacqué avait rendu, avec l’initiateur du mouvement Pas sans nous Mohamed Mechmache, un rapport sur la citoyenneté dans les quartiers populaires au secrétaire d’État chargé de la politique de la ville, François Lamy. Elle décrypte pour _Politis le discours du Président.

Quelles mesures annoncées par Emmanuel Macron étaient déjà connues ? Y a-t-il des nouveautés ?

Ce sont davantage des déclarations de principe que de réelles nouveautés. Ce qui est mis en avant, c’est le grand investissement dirigé vers la rénovation urbaine. Mais on peut discuter de cette priorité et surtout de la manière dont est faite cette rénovation. Elle est appliquée sans la participation des habitants, avec parfois des effets contradictoires. Dans certains cas, comme le projet de rénovation urbaine prévu à la Butte Rouge à Châtenay-Malabry (92), il est question de détruire un des seuls parcs sociaux de ce secteur au nom de la mixité sociale. La principale conséquence est qu’on fait partir les classes populaires.

C’est très paradoxal car, d’un côté, Emmanuel Macron annonce le retour au droit commun dans les quartiers populaires – ce qu’on peut applaudir –, mais rien n’est expliqué pour dire comment il va y arriver concrètement. Il organise un plan social jamais vu avec la suppression d’un grand nombre d’associations par le gel des emplois aidés, il prend des mesures sur l’habitat social en demandant aux entreprises d’HLM de réduire les loyers, il baisse les APL. Le retour au droit commun, c’est bien : mais avec quels moyens ?

Il a aussi annoncé la création d’un « conseil présidentiel » constitué de figures des quartiers populaires qui ont « réussi ». Que pensez-vous de cette mesure ?

L’émancipation des quartiers populaires pour Emmanuel Macron se résume à celle dans l’entreprise. Rien n’a été dit sur la démocratie ou sur les conditions du débat public. Il parle de « co-construction » mais il ne reprend aucune des propositions que l’on avait formulées avec Mohamed Mechmache. Il ne parle pas de l’avenir des conseils citoyens, dont le bilan reste mitigé.

C’est une démarche assez classique qui s’inscrit dans l’idéologie néolibérale : aller sortir quelques personnalités dont on met en avant les parcours, sans toujours s’interroger d’ailleurs sur les conditions de ceux-ci. Aucun moyen n’est accordé aux démarches d’émancipation qui reposent, à mon sens, sur du collectif. Il est même en train de sabrer dans les budgets des associations qui portent ce type de projets. Il parle d’innovation, mais a-t-il parlé d’une quelconque mesure pour l’innovation dans les processus démocratiques dans les quartiers ?

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Que pensez-vous des mesures pour lutter contre les discriminations ?

Toutes les mesures destinées à lutter contre la discrimination vont plutôt dans le bon sens. Mais je m’interroge sur le statut du Défenseur des droits dont les prérogatives sont de plus en plus réduites. Le récépissé pour lutter contre le contrôle au faciès n’a pas été repris. Met-on en place des systèmes de surveillance démocratique ? Non. Cette question n’est pas vue comme un vrai enjeu auquel les populations et les associations pourraient prendre part dans le cadre d’un débat public. Nous avions proposé des mesures pour que les habitants des quartiers populaires aient les moyens de s’organiser, par le biais d’un fond de démocratie participative, qui pourrait être constitué par le transfert de la réserve parlementaire.

J’ai suivi l’intégralité du discours du Président, et il ressemblait à un simple coup de pub car les objectifs proclamés sont contredits par les faits. Comment peut-il promettre le retour au service public dans les quartiers populaires alors qu’il supprime des postes dans ce secteur ? Il y a un vrai paradoxe entre sa politique des quartiers populaires et celle menée sur l’ensemble du territoire. Créer du collectif semble être loin des priorités d’Emmanuel Macron, qui préfère à la démocratie, comme solution pour les quartiers populaires, la seule logique marchande.

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