« La Fin de Mame Baby », de Gaël Octavia : Légende urbaine

Avec La Fin de Mame Baby, Gaël Octavia signe une belle fable féminine, entre mythe et roman d’enquête.

Anaïs Heluin  • 13 décembre 2017 abonné·es
« La Fin de Mame Baby », de Gaël Octavia : Légende urbaine
© photo : Francesca Mantovani/Gallimard

Au Quartier, le nom de Mame Baby est dans toutes les bouches. Surtout à l’Assemblée des femmes, où l’on puise dans son histoire et dans ses mots – réels ou imaginés – pour redonner courage aux plus désespérées. Car, en plus d’un modèle de réussite sociale – elle a fait l’École normale supérieure –, Mame Baby fut un trésor de sagesse et de compassion pour toutes celles qui l’entouraient.

Déjà considérée de son vivant comme une personne à part, l’héroïne éponyme de La Fin de Mame Baby, de la Martiniquaise Gaël Octavia, est devenue après sa mort, survenue dans des circonstances étranges, une véritable légende. Une sorte de sainte laïque dont une infirmière à domicile nommée Aline, la narratrice, relate le parcours en même temps que celui de plusieurs autres femmes. Blessées, celles-là.

Pour dire l’invisibilité douloureuse dans laquelle vivent souvent les femmes des cités, Gaël Octavia s’en remet donc au mythe, tout en déployant une langue très orale, ancrée dans un quotidien sans grand horizon. Mais plein de secrets révélés au compte-gouttes, tels des trésors dont la mémoire collective du Quartier peinerait à se séparer. La fin de Mame Baby se fraie ainsi un chemin bien à lui entre les genres. Fable, mais aussi roman d’enquête et récit d’initiation, ce premier roman récompensé par la mention spéciale du jury du Prix Wepler est à mille barres HLM du naturalisme un peu larmoyant qui dessert certains romans consacrés à la réalité sociale traitée par Gaël Octavia. Malgré l’absence de perspectives d’avenir et la violence masculine qui les écrase, les femmes qui se bousculent dans la parole vivante et imagée d’Aline n’ont rien de la grisaille de leur paysage. Toujours partantes pour une anecdote, elles rayonnent par le verbe.

Mariette, par exemple, mère d’un garçon décédé lors d’une bagarre, alcoolique, clouée à son rocking-chair et atteinte d’une amnésie partielle depuis la tragédie, a gardé une vivacité d’élocution dont témoigne Aline. Laquelle se révèle finalement bien plus intéressée par cette personne brisée que par les mystères de Mame Baby. Aussi fragmentaire et désordonné que la mémoire de Mariette, le long monologue de la narratrice vise à reconstituer une filiation problématique. Une histoire commune qui s’est développée à l’ombre des coups d’éclat masculins.

Chez Gaël Octavia, l’enchâssement n’est pas un simple procédé littéraire : il exprime la solidarité et l’imaginaire sans lesquels les femmes du roman ne tiendraient pas debout. L’auteure y trouve la forme idéale pour la peinture de son Quartier, qu’elle place hors de toute géographie réelle. Mais qui trouve partout des équivalents dans la réalité.

La Fin de Mame Baby, Gaël Octavia, Gallimard, « Continents Noirs », 170 p., 16 euros.

Littérature
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