Au PS, un fauteuil pour quatre

Qui prendra la suite de Jean-Christophe Cambadélis au prochain congrès du Parti socialiste ? Zoom sur deux des quatre postulants, Olivier Faure et Emmanuel Maurel.

Pauline Graulle  • 31 janvier 2018 abonné·es
Au PS, un fauteuil pour quatre
photo : Olivier Faure.
© nJACQUES DEMARTHON/AFP

Ils seront donc quatre, et pas un de plus. Le Parti socialiste a beau avoir l’air d’un « grand cadavre à la renverse », pour reprendre les mots de Sartre définissant la gauche de son époque, la compétition entre les candidats au poste de premier secrétaire ne s’annonce pas moins rude. La seule femme en lice, Delphine Batho, qui promettait de ruer dans les brancards, s’est fait barrer la route par l’appareil, lequel s’est paré au dernier moment de nouvelles règles plus strictes dans le dépôt des candidatures au congrès.

Comme un réflexe d’auto-défense, le parti d’Épinay, exsangue, se referme un peu plus sur lui-même. Vu le profil des quatre hommes qui briguent sa direction, on peine à croire qu’un renouveau salvateur sortira du prochain congrès, organisé début avril à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Stéphane Le Foll est plus hollandais que François Hollande lui-même. Luc Carvounas, l’ancien vallsiste repenti, qui arrive même aujourd’hui à attirer certains hamonistes (Mathieu Hanotin ou Régis Juanico), incarne tout ce que le PS peut avoir d’incompréhensible. Olivier Faure, lui, fait preuve d’une plasticité idéologique utile pour prendre le parti, mais qui le condamne dans le même temps à creuser le sillon de l’échec de la synthèse hollandaise. Reste Emmanuel Maurel, le candidat de l’aile gauche, laquelle ne pèse sans doute plus très lourd dans ce parti déchiré entre sociaux-démocrates et sociaux-libéraux…

Cette semaine, nous nous arrêtons sur les profils de deux candidats sur quatre : le grand favori, Olivier Faure, et l’outsider Emmanuel Maurel.

Olivier Faure : l’homme du milieu

Dans la même journée, il a engrangé le soutien de la très anti-Valls Martine Aubry et du très vallsiste Philippe Doucet. Un grand écart qui n’effraie pas Olivier Faure, au contraire. Le président du groupe Nouvelle Gauche à l’Assemblée nationale, candidat à la direction du Parti socialiste après que sa bonne camarade Najat Vallaud-Belkacem a jeté l’éponge, est catégorique : une fois « président (sic) du PS », il saura « dépasser les clivages anciens » et faire « repartir [le parti] sur une autre histoire ». L’aile droite, l’aile gauche, les querelles entre « frondeurs » et « réalistes »… Tout ça, c’était avant. Lui, qui sait que le PS se prend au centre, sera l’homme de la réconciliation. Vendre aux militants inquiets le rêve que la crise mortifère qui secoue le parti ne sera bientôt qu’un lointain souvenir : la stratégie semble, pour l’instant, gagnante. Le grand favori de la course ne compte plus ses soutiens, même sur le versant le plus à gauche du parti : Stéphane Troussel, Valérie Rabault, Matthias Fekl…

Olivier Faure, pile 50 ans cette année, look de gendre idéal, est encore un inconnu pour qui ne passe pas son temps à regarder les plateaux de La Chaîne parlementaire. Mais il a tout de l’apparatchik à l’ancienne. Et d’abord un CV taillé pour plaire aux légitimistes, majoritaires dans le parti. L’actuel patron des 30 députés socialistes (et apparentés), entré au PS à 16 ans, a fait rapidement carrière dans les arcanes de la gauche gouvernementale. Jeune rocardien, il devient un fidèle de Jean-Marc Ayrault – une rareté – puis passe du cabinet de la ministre du Travail Aubry à celui de François Hollande à Solferino. « J’ai bossé pendant sept ans à ses côtés, mais François ne connaît pas grand-chose de moi », confie-t-il. Au point que l’ex-premier secrétaire sera l’un des derniers à savoir que son plus proche collaborateur signe, sous pseudo, des bandes dessinées relatant par le menu les vicissitudes du petit monde solférinien. Dont la célèbre Ségo, François, papa et moi, sur la terrible campagne de Ségolène Royal, qu’il a soutenue en 2007…

Alors, depuis, Olivier Faure n’a plus que le « compromis » à la bouche. Rien à voir avec la « synthèse molle » à la Hollande ou le « en même temps » macronien, jure celui qui a signé, aux côtés de Martine Aubry et de Gérard Collomb, la très fourre-tout « motion A » au congrès de Poitiers, en 2005 : « Je veux souligner les convergences et ne pas nourrir les débats qui nous divisent artificiellement. La social-démocratie, ça ne veut pas dire qu’on est mou du genou, mais qu’on veut dépasser les antagonismes. » C’est lui, rappelle-t-il à dessein, qui a tenté, mais en vain, de proposer un « compromis » sur la loi travail au printemps 2016. Et s’il s’est opposé à la déchéance de nationalité, c’était, au fond, surtout pour le bien du parti : « Cette histoire nous a fait perdre la gauche intellectuelle, la gauche morale et la gauche issue de l’immigration. »

Un peu grondeur, mais pas frondeur, Olivier Faure a quand même voté Valls à la primaire de 2017. Reste qu’il apparaît aujourd’hui, par un effet de contraste, moins « hollandais » que l’ex-ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, lui aussi dans la course. D’ailleurs, une fois premier secrétaire, c’est promis, il fera l’inventaire du quinquennat. Une grande convention pour analyser ce qui a échoué, « c’est nécessaire, si on veut repartir sur de bonnes bases ».

Lui « président » du PS, il fera du mouvement de Jaurès un « parti plateforme » qui permettra à tous les militants, et même pourquoi pas aux simples sympathisants, de participer aux prises de décision. Un « parti 2.0 », « décentralisé », qui produira des Mooc, des formations en ligne pour les militants et le grand public, afin de pouvoir mener des « débats exigeants ». Par exemple, sur les « nouvelles aliénations aux écrans » ou « la compatibilité entre la transition énergétique et la question sociale ».

Le nouveau siège, Olivier Faure l’imagine à Paris, rive gauche. Il devra être clair, moderne et incarner, par l’agencement de l’espace, ce nouvel esprit du socialisme. Pour tenter de faire oublier la rue de Solferino et tous ses labyrinthes.

Emmanuel Maurel : la ligne claire

Existe-t-il encore une « aile gauche » au PS ? S’il veut espérer devenir premier secrétaire, Emmanuel Maurel devra partir à sa recherche. Pas sûr qu’il trouve grand monde sur son chemin. Il y a certes les membres de son courant Maintenant la gauche, constitué en 2012 avec Marie-Noëlle Lienemann et Jérôme Guedj. Il y a aussi les quelques hamonistes restants, et encore, ceux qui lui pardonnent de n’avoir pas beaucoup fait campagne pour leur champion à la présidentielle… « La motion B [critique du quinquennat de Hollande, NDLR] a quand même fait 30 % au dernier congrès de Poitiers », se rassure le candidat. Faisant mine d’oublier qu’il se fit, en 2014, le relais d’une fameuse saillie sur le PS en pleine hémorragie militante : « Si tous les dégoûtés s’en vont, il ne restera plus que les dégoûtants. »

Perdue, la lucidité d’alors ? « Il y a quelque chose que vous ne pouvez pas comprendre, rétorque l’intéressé, c’est que j’aime ce parti. » Pas dit que l’affection soit réciproque, mais Emmanuel Maurel y travaille. Tour de France des sections, serrage de mains et tout le toutim médiatique… Il n’a pas convaincu les caciques du PS de le suivre – même son « amie » Martine Aubry l’a lâché pour Olivier Faure, afin, croit-elle, de garder la fédération du Nord. Pas grave : il mise tout sur les socialistes d’en bas. Ceux qui peuplent les conseils municipaux, qui s’engagent dans les associations locales, qui militent aux côtés de la gauche de terrain. Les « vrais gens », en somme. Comme eux, il continue de grimper dans le RER D bondé du petit matin. Et ne doit son brillant parcours scolaire (une double khâgne à Henri-IV, puis Sciences Po) qu’à la méritocratie républicaine.

De cette époque, Emmanuel Maurel conserve des camarades bien placés dans les médias, une passion pour la République – l’intégrisme laïcard de son « pote » Laurent Bouvet n’est pas pour lui déplaire – et une conscience aiguë de la lutte des classes. « Moi, je suis un imbécile, je ne change pas d’avis », clame-t-il. C’est vrai qu’au PS une telle constance lui donnerait presque le statut d’objet de curiosité. D’autant que l’ancien vice-président du conseil régional d’Île-de-France (de 2010 à 2014) emploie des mots depuis longtemps passés de mode rue de Solferino, « marxiste » ou « antilibéral ». Emmanuel Maurel, dernier représentant de la « première gauche » ? Il tique. Pas envie de passer pour le ringard de service.

Reste que le programme commun continue de le faire rêver. « Mitterrand l’a fait avec un PCF qui voulait ‘‘plumer la volaille socialiste’’. » Manière de dire que Jean-Luc Mélenchon, qu’il rencontre régulièrement, et avec qui il a défilé le 23 septembre dernier, ne lui fait pas peur. Alors, certes, il est plus Front populaire que constituante, plus « compromis idéologique » que « révolution citoyenne ». Ça ne l’empêche pas d’imaginer des listes communes « à toute la gauche » dès les municipales de 2020.

Emmanuel Maurel en est persuadé : face à Macron, le PS a tout intérêt à revenir à ses fondamentaux. Le député européen qui a voté « non » au TCE en 2005 veut, en Europe comme en France, assumer le rapport de force droite-gauche. « Il faut sortir des sables mouvants de l’ambiguïté. C’est ça qui nous a tués. » Qui a dit qu’un laïc ne pouvait pas croire à la résurrection ?

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