Les 35 heures ont 20 ans. Et maintenant ?

Fixer un objectif à 30 heures pour s’attaquer au chômage de masse.

Jean Gadrey  • 21 février 2018 abonné·es
Les 35 heures ont 20 ans. Et maintenant ?
© photo : SEAN GALLUP / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images/AFP

C’est en février 1998 que la « loi Aubry I » a été votée en première lecture, l’adoption définitive datant de juin 1998. Bien que l’actualité nous invite à d’autres combats, le long terme nous ramène à la RTT autant qu’à la crise écologique et sociale. Si nous avions aujourd’hui la même durée annuelle moyenne du travail qu’au milieu des années 1960 (1 900 heures pour les salariés, environ 1 400 depuis 2002), il y aurait peut-être 5 à 6 millions de chômeurs en plus. Or, divers arguments conduisent à penser que ce mouvement historique doit être prolongé et actualisé.

D’abord, selon les données de l’OCDE, le pays des 35 heures est l’un des pays « développés » où l’on travaille le plus ! Alors que presque partout ailleurs la durée hebdomadaire moyenne, tous emplois confondus, continue à baisser, elle stagne en France depuis 2002. Avec 37,3 heures par semaine en 2016, la France se place à la quatorzième place, derrière notamment les Pays-Bas (30,3 heures), le Danemark (32,9), la Norvège (34,3), l’Allemagne (35,2), la Suède (36,4) et le Royaume-Uni (36,7). Autant de pays qui sont pourtant mieux classés par le Forum de Davos en termes de compétitivité…

Ensuite, la RTT est l’un des meilleurs « rapports qualité/prix » des dépenses publiques pour l’emploi. Un bilan des 35 heures a été effectué en 2012 à l’OFCE par Éric Heyer : « Une fois le bouclage macroéconomique pris en compte [rentrées de cotisations sociales et d’impôts, réduction des allocations chômage]_, le surcoût des allégements ne s’élève qu’à 3 milliards d’euros annuels. »_ Trois milliards nets par an pour 350 000 emplois ajoutés, soit moins de 9 000 euros annuels par emploi, c’est environ dix fois plus « rentable » pour créer des emplois que le CICE et le bien mal nommé « pacte de responsabilité ».

D’autres dimensions du passage aux 35 heures ont été analysées sur la base de grandes enquêtes. La plupart de ces évaluations qualitatives sont bonnes : mode de vie, égalité professionnelle femmes/hommes, conditions de travail, santé. En revanche, des aspects plus négatifs méritent réflexion, en particulier pour certaines activités dont les conditions de travail ont pu se dégrader. D’autant que la loi Aubry II, en 2000, n’a pas été à la hauteur.

Et maintenant ? Il faut continuer à réduire la durée du travail sur l’ensemble de la vie en jouant sur la durée hebdomadaire, annuelle, l’âge moyen de départ à la retraite dans de bonnes conditions. Par exemple, un droit à six mois de congé rémunéré tous les cinq ans, ou un an tous les dix ans, correspond à une réduction du temps de travail de 10 %, autant que le passage de 39 à 35 heures. Pour reprendre des études, pour un congé parental long concernant les pères autant que les mères, pour un « congé solidaire » dans des activités associatives, etc.

S’agissant de la durée hebdomadaire, un objectif fixé à 32 heures, puis 30 heures, s’il est équitablement conçu, est réaliste dès lors qu’on veut vraiment s’attaquer au chômage de masse. Pour preuve, quand on divise le temps de travail total dans l’économie par la population active, chômeurs compris, on trouve… 31 heures par semaine en France, et 29 heures en Allemagne.

Jean Gadrey Professeur émérite à l’université Lille-I

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