Procès politique pour le « Bure de Merlin »

Deux opposants au centre d’enfouissement de déchets nucléaires passaient en procès pour destruction d’un mur de béton illégalement érigé par l’Andra.

Patrick Piro  • 21 février 2018 abonné·es
Procès politique pour le « Bure de Merlin »
© photo : Le 14 août 2016, des militants démontent le mur illégal érigé par l’Andra autour du site.crédit : FRANCOIS NASCIMBENI/AFP

M ais pour qui vous prend-on ? », attaque Me Florian Régley à l’adresse du tribunal correctionnel de Bar-le-Duc. Mardi 13 février, celui-ci jugeait deux prévenus, retraités de 69 ans associés jusque dans leur prénom, Christian, accusés d’avoir participé le 14 août 2016 à la destruction du mur posé autour du bois Lejuc, parcelle stratégique pour la réalisation du laboratoire Cigéo d’enfouissement de déchets radioactifs de Bure (Meuse). L’avocat vient d’entendre le procureur réclamer 4 à 5 mois de prison avec sursis et 300 euros d’amende pour refus de prélèvement d’ADN. « Des mois d’enquête, 608 pages de dossier, trois heures d’audience. On débat de tout… sauf de la charge de la preuve ! »

Sa consœur, Me Muriel Ruef, exhibe l’unique document appuyant la plainte de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) : deux clichés pris de l’hélicoptère de la gendarmerie. Sur la base de grossissements très flous, le procureur est convaincu d’y reconnaître, par une corpulence, par un nez « pointu », les silhouettes des Christian, dont l’une tient une corde et l’autre semble diriger une manœuvre. Les deux reconnaissent avoir été présents ce jour-là, « en solidarité », mais nient toute destruction. « Quant à la demande de prélèvement d’ADN, censé servir à la manifestation de la vérité : elle n’était finalement justifiée que par la suspicion induite par ces photos hyper pixélisées », fustige Me Ruef.

Ce 14 août 2016, quelque 300 militants se rassemblent au bois Lejuc « pour se faire justice », traduit Me Carine Bourel, avocate de l’Andra. Pourtant, deux semaines avant, la justice donnait six mois à l’agence pour remettre les lieux en l’état : le défrichement de sept hectares de bois pour l’érection du mur se révélait illégal. Alors que l’Andra prétend poursuivre les travaux, les militants renversent sans attendre les centaines de panneaux de béton du mur d’un kilomètre de long et de 2,5 mètres de haut. « Un préjudice de 1,2 million d’euros », affirme l’Andra.

Lucie Simon, l’une des défenseuses des deux accusés, met les pieds dans le plat dès le début de l’audience. « C’est un procès politique, une enquête uniquement à charge, un traitement partial avec confusion entre le procureur de la République et “l’État nucléaire” ! » Le réseau Sortir du nucléaire dénonce « une criminalisation inacceptable de la contestation, dans un contexte extrêmement lourd de pression policière et de stratégie de tension : surveillance permanente autour de Bure, présence policière lors de réunions associatives, contrôles d’identité récurrents, condamnation d’une personne à un mois de prison ferme pour de simples accusations de rébellion et refus de prélèvement ». La pression pourrait encore se renforcer alors que l’abandon de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes fait craindre aux autorités que Cigéo devienne la nouvelle grande ZAD nationale.

Pour les contestataires, ce n’est donc pas un hasard si la justice s’en prend à deux engagés de longue date, anciens syndicalistes – l’instituteur Christian Vaujin et le paysan Christian Vincent : « De l’intimidation, juge Angélique Huguin de l’association BureStop 55. Car des photos de presse bien plus explicites que les clichés d’hélicoptère auraient permis de cibler d’autres militants. »

C’est le procureur lui-même qui dessine le mieux, en creux, l’enjeu de l’audience dans une salle largement pro-Christian(s) qu’il électrise d’interpellations émaillées de mépris. La société du risque, les générations futures ? « Passons sur ces aspects politiques… Je ne vois ici que deux prévenus qui par imprévoyance ont agi à visage découvert. Les autres, masqués en hibou et dont certains sont sûrement dans cette salle, ils assument quoi ? Et quelle superbe les autorise à s’autoproclamer “gardien” ? En démocratie, les représentants sont élus ! » Dans une déclaration vibrante, Christian Vaujin évoque vingt-quatre ans d’engagement « contre ce projet de tombe radioactive – comme s’il n’y en avait pas suffisamment ici ? [1] –, fier devant la chute de ce mur si lourd », le « Bure de Merlin », raillent les anti. « Il faut savoir raison garder, rétorque le procureur, le mur de Berlin portait des enjeux infiniment plus profonds. » Perplexité de Charlotte Mijeon, de Sortir du nucléaire : Cigéo, c’est le legs de milliers de tonnes de déchets nucléaires, radioactifs, pendant des millions d’années pour certains, et scellés sans recours à 500 mètres sous terre.

Les avocats demandent la nullité de la plainte de l’Andra. Délibération le 10 avril.

[1] Nous sommes à quelques kilomètres des cimetières de Verdun.

À lire : Bure, la bataille du nucléaire, Gaspard d’Allens, Andrea Fuori Seuil-Reporterre 146 p., 12 euros.

Écologie
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