Transformer la douleur en œuvre d’art

Dans un documentaire au dispositif scénique et cathartique puissant, La Chasse aux fantômes, diffusé ce mercredi soir, sur Arte, Raed Andoni réunit d’anciens prisonniers palestiniens rejouant leur détention.

Jean-Claude Renard  • 20 février 2018
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Transformer la douleur en œuvre d’art
© photo : Les Films de Zayna/Arte France/Akka Films/Dar Films

Ça commence par un casting, sous la houlette du réalisateur Raed Andoni. Forgeron, plombier, maçon, architecte, géomètre, peintre, menuisier, comédien, technicien du cinéma, tous (à une exception près, le comédien) sont passés par les geôles et les cellules d’isolement de Jénine ou ailleurs, comme à la Moscobiya, à Jérusalem, l’un des principaux centre interrogatoire du Shin Beth, là même où avait été détenu le cinéaste, à l’âge de 18 ans, avant de faire un an de prison. Voilà trente ans déjà. Mais, explique Andoni, « je devais être suffisamment mûr pour m’attaquer à un tel sujet sans me blesser ni blesser les autres. Il me fallait aussi pouvoir le traiter avec distance, changer de perspective pour transformer la douleur en œuvre d’art et par conséquent en fierté. Cela nécessite du temps ».

But du casting alors : raconter les conditions d’incarcération, endossant les rôles de détenus et de gardiens, tout en recourant au dessin et à l’animation. Si la mémoire bute à mettre des mots sur une expérience douloureuse, c’est au fur et à mesure que ces vrais-faux acteurs montent eux-mêmes le décor carcéral (dans l’immense sous-sol vide d’un entrepôt à Ramallah) à partir de souvenirs (sachant que les yeux des prisonniers étaient bandés), et c’est au fil des répétitions que la parole se libère.

Film (documentaire) dans le film (de fiction), La Chasse aux fantômes relate et réveille ainsi, au plus près de la caméra, dans la sueur et la mise en scène des corps à bout de souffle, le bruit des menottes, des verrous qu’on ouvre et qu’on referme (au cœur d’une bande sonore très soignée), les interrogatoires, les tortures répétées, les humiliations, les pressions et l’oppression croissante dans des espaces exigus. D’une scène à l’autre, tout se passe comme si l’on ne sortait pas de ces violences subies, reclus dans le souvenir, et tout se passe comme si le rapport asphyxiant de dominant-dominé se jouait autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ce qui n’enlève pas des moments de légèreté, comme autant de respirations. C’est aussi la réussite du film de Raed Andoni.

La Chasse aux fantômes, ce mercredi 21 février, à 23h25, sur Arte (1h34). Et sur Arte+7, jusqu’au 28 février.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes
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