Jacques Higelin, artiste funambule, est mort
Emporté par la maladie à l’âge de 77 ans, le chanteur laisse une œuvre qui est un hymne à la fête et à l’amour.

Jacques Higelin était un singulier funambule de la chanson. Il a fallu un cancer et la mort impitoyable pour le faire chuter de son fil. Jacques Higelin est décédé, en effet, ce vendredi à l’âge de 77 ans. On ne sait ce qui le caractérisait le plus : le sens de la fête, la jubilation des mots, les plaisirs de l’amour et de l’amitié. L’artiste Jacques Higelin avait en lui tout cela, et plus encore, notamment un tempérament de scène extraordinaire. « Champagne » n’est pas pour rien l’une de ses chansons les plus connues. Elle figure sur le splendide double album Champagne pour tout le monde et Caviar pour les autres ? qui, en 1979, lui a fait connaître un immense succès.
Quelques années auparavant, en 1971, Jacques Higelin avait pris son envol en solo, grâce à Brigitte Fontaine et Areski Belkacem avec qui il avait commencé, puis s’était orienté vers un style rock, sur BBH 75 (1974), Irradié (1975), ou l’excellent Alertez les bébés ! (1976). Mais le chanteur s’était aussi nourri de certains grands anciens, comme Charles Trenet, auquel il rendait hommage dès que l’occasion se présentait (sa reprise de « Débit de l’eau débit de lait » faisait merveille). Il lui a consacré un album live en 2005, Higelin enchante Trenet.
Jacques Higelin s’est aussi engagé pour plusieurs causes, en particulier envers les plus précaires, venant en soutien de l’association Droit au logement, par exemple lors de l’occupation d’un immeuble en plein Saint-Germain-des-Près en 1994.
Après les élections municipales de 1995, alors que le Front national avait conquis quatre villes, nous avions interrogé le chanteur pour savoir s’il continuerait à s’y produire. Voici ce qu’il nous avait répondu : « Ne pas y aller, ce serait rejeter une zone dans l’ombre. Les gens, dégoûtés par le fait que tu les abandonnes, arriveraient à se dire : “On est tout seuls avec ce problème”, et eux aussi pourraient se laisser entraîner. C’est pourquoi il est important d’apporter un autre son de cloche, un beau son de cloche. Il y a beaucoup de gens à Orange [où Jacques Higelin était alors programmé, NDLR] qui ne pensent pas comme le FN, et qui vont souffrir. Ils ont besoin d’aide. […] Beaucoup de gens sont au chômage ou dans des situations précaires, je ne les juge pas sur leurs peurs. Elles les poussent à suivre un leader qui leur promet de les prendre en charge. En situation difficile, le pire est toujours tentant. »
Comme en témoigne son dernier album, paru en 2016, Higelin 75, Jacques Higelin est resté toute sa carrière un grand artiste. Dans une des chansons qui y figurent, « L’Emploi du temps », il y parle de la mort tout en dressant un autoportrait. Citer ces vers est la meilleure façon de lui rendre un dernier hommage :
« Et à présent
Avant que la grande faucheuse
Dans le livre d’or du passage
De l’instant à l’éternité
Que la grande faucheuse n’efface
Les noms, les dates, les lieux, les traces
Du temps de vivre qui m’est compté
J’emploie le temps qui passe
À laisser ma carcasse
Funambuler sur les passerelles
Des lignes de portées musicales
Flânaient entre les intervalles
Des méridiens
Des parallèles
Entre les deux calottes glacières
De ma planète désaxée
À la ployée, aux exigences
Intemporelles
De l’art de vivre
De l’art d’aimer »
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