Procès de Tarnac : L’ennemi invisible

À l’issue de trois semaines d’audiences, les éléments à charge contre le supposé « groupe de Tarnac » se sont dégonflés. Mais le procès des politiques, lui, n’a pas eu lieu.

Ingrid Merckx  • 4 avril 2018 abonné·es
Procès de Tarnac : L’ennemi invisible
© Des prévenus et leurs soutiens arrivent au palais de justice, le 13 mars, en portant des masques à l’effigie du procureur Olivier Christen .ALAIN JOCARD/AFP

Ils ont hésité à venir. Mais à quoi aurait ressemblé le procès de Tarnac sans le « groupe de Tarnac » ? Il manquait déjà une partie des acteurs de cette affaire, née le 8 novembre 2008 (jour où ont été constatés des sabotages sur des caténaires SNCF en Seine-et-Marne) et portée devant la justice le 13 mars dernier. Beaucoup d’absents notables, en effet, dans la salle des criées d’un Palais de justice de Paris en plein déménagement pendant ces trois semaines d’audiences. Des témoignages anonymisés, mais dont les noms sortent quand même, par habitude, maladresse ou provocation. Des méthodes « secret-défense », renseignements obligent, même si l’accusation de terrorisme est tombée en 2017. Des prévenus « à tendance paranoïaque », vus comme une « pseudo-secte » pendant dix ans, diserts sur « la vie collective » à Tarnac mais soucieux de préserver leur vie privée. Des disparus : Thierry Lévy, avocat de Julien Coupat, et la mère de Gabrielle Hallez, ex-mise en examen. Des amis « touchés » par les ondes de choc – des « dommages collatéraux », comme les a appelés Me Dosé, l’avocate d’Yildune Lévy. Des prévenus taiseux, enfin, quatre sur huit ayant opté pour le silence : Manon Glibert, Christophe Becker, Elsa Hauck et Bertrand Deveaud. Mais qui étaient néanmoins assis à côté des autres, spectateurs impliqués de ces débats hors normes. Cela faisait beaucoup d’angles morts et de spectres dans cette histoire et dans ce tribunal où la recherche de « vérité » s’est progressivement éloignée au profit d’une question : y a-t-il suffisamment d’éléments probants pour condamner les prévenus pour les faits qui leur sont reprochés ?

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Oui, ils ont hésité à venir. Mathieu Burnel l’a presque clamé lors de sa prise de parole conclusive sur le banc des prévenus, le 30 mars. Et puis, finalement, ils ont décidé de jouer un peu le jeu. Par « curiosité » et pour montrer qu’ils prenaient leur défense en main. « Conscients de ce privilège », a ajouté le « chef » Julien Coupat en dédiant ce procès à ceux, croisés en prison, qui n’ont pas cette chance. Tant pis pour leur avocat principal, Me Assous, qui n’a pas eu la partie facile avec des clients qui prenaient la parole à tout-va et donnaient des leçons de droit à tout le monde : « Se défendre, c’est refuser de jouer le jeu des instances de pouvoir… ». Me Assous a été beaucoup tancé par le tribunal et le parquet. Il a fait des impasses, mais il a tenu sa ligne : démonter le procès-verbal 104, pièce principale de l’accusation. Et Julien Coupat a salué « son courage ». « Vous n’avez pas à juger uniquement des faits, mais surtout des méthodes », a indiqué l’avocat, qui a mis en cause dans cette affaire les procédés de l’antiterrorisme «en ces temps où les libertés reculent… »

Ils ont hésité à venir, donc, mais ils sont venus. Pas aussi mal élevés que la présidente du tribunal, Corinne Goetzmann, a bien voulu le dire, comme le lui a fait remarquer Mathieu Burnel : « Vous dites que vous n’avez jamais rencontré personnes plus mal élevées que Julien Coupat et moi ? Je ne vous crois pas ! » Assez malins, en tout cas, pour retourner la « mal-éducation » en stratégie consistant à ne pas « rester sans mot dire », à ne pas respecter toujours les règles de prise de parole et les usages en vigueur. Que n’a-t-on pas dit sur « l’insolence », voire la « grossièreté », de ces « enfants gâtés » – d’origine modeste pour certains – qui ont « insulté » le tribunal et gaspillé le temps et l’argent du contribuable ? En revanche, de leurs vies impactées, de leurs amitiés brisées, de ces neuf années sous le coup de poursuites pour terrorisme, et d’un an pour association de malfaiteurs, rien n’a transparu ou presque, sinon au détour d’une des rares phrases de Manon Glibert, d’Elsa Hauck et d’Yildune Lévy.

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Cette dernière avait choisi une défense individuelle. Elle n’a pas dit « nous » mais « je », parlant avec naturel, en « archéologue », pour exprimer aussi sa colère de s’être sentie « assignée » : « Numéro deux de je-ne-sais-quoi, ou “femme de”. » Yildune Lévy avait ses deux avocats, Marie Dosé et Jean-Christophe Tymoczko, une amie et ses parents auprès d’elle. Elle n’a pas fait corps avec les sept autres. Mais elle était avec eux malgré tout.

Ils ont hésité à venir, mais ils étaient là, ces membres du « groupe de Tarnac » devenu la « bande à Coupat » lors des trois dernières audiences. Un chef se refusant à l’être et tenant finalement moins le crachoir que Mathieu Burnel, le premier à être apparu sur les écrans de télévision avec la mention « groupe de Tarnac », le 31 octobre 2014, dans l’émission « Ce soir ou jamais ». Mathieu Burnel qui a admis être l’un des auteurs du Comité invisible ; qui dit « nous » quand Julien Coupat dit plus souvent « je » ; qui termine les phrases de Coupat et le tire par la manche quand il pérore ou est trop long ; qui seconde voire double Me Assous. Mais qui comparaissait pour refus de prélèvement ADN quand Julien Coupat était accusé d’avoir « participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de […] préparer des actes de dégradations, en préparant des manifestations et en participant à des manifestations nationales lors desquelles des actes de violence ont été commis… ».

À l’issue d’un réquisitoire raide, le procureur Olivier Christen a requis des peines interprétées comme « légères », allant d’amendes de 1 000 euros avec sursis à six mois de prison avec sursis pour Elsa Hauck et Bertrand Deveaud, poursuivis pour association de malfaiteurs ; un an avec sursis pour Christophe Becker et six mois avec sursis pour Manon Glibert, poursuivis pour le recel de documents administratifs volés ; quatre ans dont 42 mois avec sursis et une mise à l’épreuve de 24 mois pour Julien Coupat ; deux ans d’emprisonnement dont 22 mois avec sursis et une mise à l’épreuve de 24 mois pour Yildune Lévy. « Il faut prendre en compte le temps qui est passé, la personnalité des prévenus, a expliqué le procureur_. Et la société n’aurait rien à gagner à ce qu’ils soient condamnés à des peines qui les ramèneraient en prison_. » « Ce que nous avons fait, c’est ce que nous allons faire : nous battre », a lancé un Mathieu Burnel assez crâne, sur un ton rappelant les ouvrages du Comité invisible.

Mais le procès politique n’a pas eu lieu. Tout le monde a tout fait pour l’éviter, sauf Mathieu Burnel, Julien Coupat et Benjamin Rosoux, lequel a souligné l’absence de Guillaume Pépy, PDG de la SCNF, seul protagoniste de 2008 au même poste en 2018. Il y eut pourtant des coïncidences troublantes pendant ce procès. Ainsi, Nicolas Sarkozy, président en exercice au moment de leur garde à vue puis de leur incarcération, a été mis en examen durant la deuxième semaine. Il y eut également l’attentat terroriste à Trèbes, la préparation de la grève à la SNCF et des affrontements lors des manifestations étudiantes contre la réforme de l’entrée à l’université. Le contexte n’est pas le même qu’en 2008 : aujourd’hui, le terroriste a plus le visage d’un jihadiste que d’un Julien Coupat, et une partie des manifestants « pacifiques » soutiennent ceux qui veulent répondre à la violence policière et la violence d’État.

Aucun de la « bande à Coupat » n’a jamais revendiqué d’avoir débranché des trains de déchets nucléaires. En revanche, aucun ne nie avoir participé à des mouvements en soutien à des sans-papiers, contre le fichier de police Edvige ou contre le sommet immigration de Vichy (3 novembre 2008). Julien Coupat a fait remarquer qu’ils s’étaient gardés de faire l’apologie de l’émeute, mais il n’a pas hésité à user de références révolutionnaires et à conseiller la « pondération » quand on distingue pacifique et violent. « Pour que vous puissiez nous juger, il faudrait que nous nous considérions comme jugeables », a fanfaronné Mathieu Burnel en s’estimant plus libre que la présidente elle-même, prisonnière des dorures du palais.

Mais l’institution en a vu d’autres qui ne respectaient pas ses codes et ses rituels. Si elle s’est agacée souvent, et qu’elle a ri aussi parfois, a-t-elle été perturbée vraiment par ce procès ? Le tribunal, présidente en tête, a-t-il découvert les méthodes de l’antiterrorisme qui ont percé au cours du procès ou fait « mine de » ? Corinne Goetzmann a impressionné par sa volonté de « laisser s’exprimer les colères » et de « respecter le contradictoire » face à des détenus prêts à se battre mais en mal d’adversaires autres que le parquet. Mais la laissera-t-elle transparaître dans sa décision, attendue le 12 avril ?

Société Police / Justice
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