Réforme constitutionnelle : Les députés en coupe réglée

Politis révèle le contenu de la réforme constitutionnelle, qui prévoit de nouveaux instruments pour rabaisser le rôle du Parlement, que le Président considère déjà comme un frein inutile à son action.

Michel Soudais  et  Agathe Mercante  • 25 avril 2018 abonné·es
Réforme constitutionnelle : Les députés en coupe réglée
© photo : JOEL SAGET/AFP

Il y a loin des promesses à la pratique. En campagne, Emmanuel Macron s’était fait le chantre d’« une démocratie rénovée ». Un an après, les rapports du gouvernement avec les députés et les sénateurs ne montrent aucun signe de progrès démocratique. Au contraire. Le déséquilibre institutionnel de la Ve République s’est encore accru. Et la réforme des institutions annoncée, notamment l’avant-projet de loi constitutionnelle que Politis s’est procuré, manifeste la volonté du président de la République de réduire les maigres pouvoirs du Parlement. Ce présidentialisme autoritaire porté par une majorité de godillots suscite de vives critiques parmi les élus d’opposition à l’Assemblée nationale.

« Le gouvernement a la main sur l’organisation même de l’agenda du Parlement, note Bastien Lachaud, un des primo-députés de la France insoumise, élu en Seine-Saint-Denis. L’essentiel des textes sont d’origine gouvernementale. Les élus la République en marche votent aveuglément les projets de lois qui leur sont présentés. » Et rejettent sans discernement ce qui ne vient pas de leurs rangs. « Cette majorité a été élue sur la promesse d’écouter l’opposition. C’est de l’esbrouffe ! », s’agace ainsi Boris Vallaud, également primo-député, socialiste.

Les propositions de lois présentées par les groupes n’appartenant pas à la majorité présidentielle, un jour de séance par mois, « ne sont pas examinées sur le fond, les textes sont rejetés en commission et le débat s’axe autour de la motion de rejet sans discuter de la proposition elle-même, constate cet élu des Landes. Avec eux, c’est toujours “circulez, y’a rien à voir”. » Une attitude qui tient autant du réflexe moutonnier que du sectarisme. « Ils vont même jusqu’à rejeter des amendements que nous avons déposés pour présenter les mêmes et les faire voter. » Ce que confirme le communiste André Chassaigne, patron du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) : « Ils récupèrent nos amendements à leur profit de sorte à ce que la loi soit faite intégralement par eux. »

Comme s’il ne disposait pas déjà d’un groupe parlementaire ultramajoritaire, le gouvernement s’emploie à verrouiller les débats. Boris Vallaud se dit « frappé » par le « côté systématique » du recours aux ordonnances, qui tient les parlementaires à l’écart de l’élaboration de la loi sur le code du travail, la SNCF… « C’est un parti pris, celui de refuser toute négociation », constate André Chassaigne. Ce refus s’est encore manifesté à l’occasion du débat sur la loi asile et immigration. Contrairement aux usages, le gouvernement a voulu qu’elle soit adoptée par un simple scrutin public le dimanche 22 avril, et non par un vote solennel, qui n’aurait pu intervenir que le 9 mai. « La totalité des présidents de groupe à l’exception de Richard Ferrand étaient contre. C’est passé quand même », s’irrite André Chassaigne. D’où une précipitation des débats pour être dans les temps. On a pu voir ainsi le président de l’Assemblée, François de Rugy, refuser à tous les groupes d’opposition des explications de vote sur l’article 5, qui réduit les délais pour une demande d’asile – pour cacher que le FN votait cet article ? – ; tenir une ultime séance de neuf heures, au cours de laquelle le ministre Gérard Collomb et la rapporteure de la commission se sont opposés mécaniquement à de très nombreux amendements ne venant pas de leur camp sans même argumenter leur « avis défavorable ».

Ce verrouillage du Parlement « va jusqu’aux questions au gouvernement », rapporte Bastien Lachaud : « Lorsqu’on pose une question, les ministres ne prennent même pas la peine d’y répondre. Les députés sont relégués au second rang. » À l’appui de ce sentiment, il note que « la ministre de la Défense a présenté la loi de programmation militaire à la presse avant même d’en informer la commission Sécurité et Défense », dont il est membre. Au sein même de la majorité, des élus, parmi les plus aguerris, se plaignent du peu d’estime que le gouvernement leur porte.

Mercredi 18 avril, les députés de la commission des Finances auditionnaient le patron de SNCF Réseau, Patrick Jeantet, ainsi que Martin Vial, le commissaire aux participations de l’État, et la directrice du Budget, Amélie Verdier, dans le but d’avoir des éclaircissements sur la reprise progressive de la dette de la SNCF évoquée par Emmanuel Macron lors de son entretien télévisé sur BFMTV et Mediapart : son origine, sa structuration, la soutenabilité, le coût et les options de résorption de cette dette. Des questions auxquelles les auditionnés, venus sans document, se révéleront incapables de répondre précisément, suscitant agacement et colère sur tous les bancs. « Nous sommes en train de vivre ce qu’est un Parlement humilié ! », s’emporte Charles de Courson (UDI, Agir et indépendants). « Bafoué ! », renchérit son collègue Philippe Vigier. En début de séance, le rapporteur général du Budget, Joël Giraud (LREM), reconnaissait « un côté frustrant à avoir voté hier une loi ferroviaire et de ne pas avoir pu avoir ce type de débat avant… » Une petite litote directement adressée au gouvernement, qui n’avait pas mis la question de la dette dans son projet de loi d’habilitation, mais l’a intégrée subrepticement in extremis en introduisant par amendement, après les examens en commission, un nouvel article qui transforme la structure de la SNCF d’établissement public (Epic) en société anonyme (SA) ; or aucune SA ne peut être viable avec une dette évaluée à 46 milliards d’euros.

Autre reproche pointé par Bastien Lachaud : « Les textes sont constamment en procédure accélérée, c’est récurrent et nous n’avons jamais le temps de débattre. » Une pratique que le candidat Macron avait inscrite en toutes lettres dans son programme : « Nous ferons de la procédure d’urgence la procédure par défaut d’examen des textes législatifs afin d’accélérer le travail parlementaire », pouvait-on lire dans sa brochure-programme de 32 pages distribuée par « les marcheurs » sur les marchés et en porte-à-porte. Dans les dernières pages de Révolution, ouvrage qui accompagnait l’officialisation de sa candidature à l’Élysée, en novembre 2016, Emmanuel Macron avait été plus « cash » : « Être efficace, c’est en finir avec le bavardage législatif. » « La discussion des textes […] devra être plus rapide, poursuivait-il. Car il est urgent de réconcilier le temps démocratique et le temps de la décision avec celui de la vie réelle et économique. »

Cette volonté de « revoir les procédures d’adoption des lois » trouve sa traduction dans l’avant-projet de loi constitutionnelle qui doit être présentée en Conseil des ministres le 9 mai. Sur les dix-huit articles de ce texte, six touchent aux procédures en vigueur dans les deux chambres et visent à raccourcir le temps d’examen des réformes, suivant quatre biais.

Par un encadrement plus strict – comprendre une limitation du droit d’amendement : l’article 3, en réécrivant l’article 41 de la Constitution et en modifiant sur un mot l’article 45, étend l’objection d’irrecevabilité aux propositions ou amendements « sans lien direct avec le texte déposé » ou « dépourvus de portée normative », et réduit de huit à trois jours le délai imparti au Conseil constitutionnel pour statuer sur cette irrecevabilité en cas de contestation. « Cette limitation du droit d’amendement est dangereuse, proteste le communiste André Chassaigne. Sur la loi agriculture, un amendement au sujet des accords de libre-échange avait été déposé, et débattu. Ça offre une respiration démocratique, qui sera désormais interdite. » L’article 4 rend au gouvernement, au moyen d’une modification de l’article 42 de la Constitution, la possibilité de décider si un projet ou une proposition de loi, adopté en commission parlementaire, sera, « en tout ou partie, seul mis en discussion en séance ». Le président du groupe GDR y voit la possibilité pour le gouvernement d’inscrire des articles en commission sur lesquels les parlementaires ne pourront pas déposer d’amendements et déduit « un affaiblissement du pouvoir législatif ».

Second biais, un raccourcissement des « navettes » – les allers-retours entre les deux chambres : en cas de désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale, et d’incapacité de la commission mixte paritaire à adopter un texte commun, l’article 5 autorise « le gouvernement [à] demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement » sans pouvoir déposer d’amendements, les seuls recevables étant ceux approuvés par le gouvernement et déposés au Sénat.

Troisième biais, un resserrement du temps des débats : les articles 6 et 7 modifient les articles 47 et 47-1 de la Constitution et réduisent à cinquante jours, au lieu de soixante-dix, les délais d’examen des projets de Loi de finances et des projets de loi de financement de la Sécurité sociale. Passé ce délai, ils autorisent le gouvernement à légiférer par ordonnance.

Enfin, une reprise en main de l’ordre du jour : l’article 8 modifie l’article 48 de la Constitution pour permettre au gouvernement d’inscrire « par priorité » à l’ordre du jour des assemblées « des textes relatifs à la politique économique, sociale ou environnementale, déclarés [par lui] prioritaires ». Une facilité réservée jusqu’ici quasi exclusivement aux seuls projets de Loi de finances et de financement de la Sécurité sociale.

À l’évidence, l’arsenal institutionnel qui permet au gouvernement d’imposer ses vues à des députés et des sénateurs réticents, et de museler l’opposition parlementaire (lire pages suivantes), ne suffit plus à Emmanuel Macron, qui entend également réduire physiquement le poids du Parlement. La mesure la plus spectaculaire de son projet de réforme institutionnelle, la plus démagogique et médiatisée également, consiste à réduire de 30 % l’effectif des parlementaires. L’Assemblée nationale ne compterait plus que 404 députés, le Sénat 244 sénateurs, faisant de la France le deuxième pays d’Europe continentale avec le moins de députés par habitant. _« Seule la Russie ferait pire », ironise Matthias Tavel, porte-parole de France insoumise dans une tribune publiée par Libération (23 avril). Chez nos voisins allemands, dont les politiques sont souvent citées en exemple par les soutiens de la macronie, le Bundestag compte actuellement 709 députés. Dont plus de la moitié élus à la proportionnelle. Ce qui est loin d’être le cas dans le projet d’Emmanuel Macron, qui se contente d’une dose de 15 % de proportionnelle – François Bayrou et le MoDem demandent 25 % –, soit 60 députés. Les 344 autres députés seraient élus dans des circonscriptions redécoupées par ordonnances.

Cette réduction du nombre de parlementaires est unanimement décriée à gauche. Pour la France insoumise, « faire croire que moins de députés permettraient de mieux contrôler le gouvernement est une arnaque, dénonce Matthias Tavel. Le maintien du mode de scrutin actuel pour 85 % de l’Assemblée poussera les députés à labourer des circonscriptions deux fois plus grandes qu’aujourd’hui, perdant soit une proximité avec leurs électeurs, soit beaucoup de temps loin du contrôle du pouvoir. »

« On ne crée pas plus de débat citoyen et de démocratie en éloignant les parlementaires de leur territoire, remarque également Boris Vallaud. « Finalement, c’est une pratique très “césariste”, très verticale, alors que Macron a été élu, et les députés LREM aussi, sur la promesse d’une plus grande horizontalité, poursuit-il. Macron a la même relation au Parlement qu’aux corps intermédiaires… » À ses yeux, le retour aux fondamentaux de la Ve République, qu’Emmanuel Macron prétend opérer, est trompeur : « Le général de Gaulle voulait être au-dessus des partis, le Président ne les considère même pas. »

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