Deux États : les jeunes Palestiniens n’y croient plus

Vingt-cinq ans après la signature des accords d’Oslo, la solution qui a toujours les faveurs de l’ONU paraît irréalisable à une large partie de la population, particulièrement chez les étudiants.

Salomé Parent  • 3 mai 2018 abonné·es
Deux États : les jeunes Palestiniens n’y croient plus
© photo : Des étudiants célèbrent leur diplôme à l’université Birzeit, à Ramallah. crédit : nABBAS MOMANI/AFP

La cinquantaine bien entamée, costume gris, Mkhaimar Abusada parle d’une voix calme. Pour ce professeur de sciences politiques à l’université Al-Azhar de Gaza, « il semble difficile d’imaginer qu’un jour les 700 000 colons qui vivent en Cisjordanie et à Jérusalem-Est soient renvoyés en Israël afin de permettre la création d’un État palestinien autonome. Et puis la Cisjordanie est morcelée, rongée de toutes parts par des routes israéliennes ». On sent poindre chez lui une certaine lassitude quand il aborde le sujet. Après avoir longtemps considéré la solution à deux États voisins comme le meilleur moyen de vivre en paix avec Israël, comme une majorité de la population, il fait désormais preuve de pragmatisme : « Cette solution n’est simplement plus réalisable. »

L’impopularité de l’Autorité palestinienne Selon l’enquête du Palestinian Center for Policy and Survey de mars 2018, si des élections avaient lieu aujourd’hui en Palestine, Mahmoud Abbas, 83 ans, n’obtiendrait que 41 % des suffrages s’il était opposé à Ismaël Haniyeh, 55 ans, le chef du Hamas, qui l’emporterait avec 52 % des voix. De même, si le président Abbas se trouvait confronté à Marwan Barghouti, 58 ans, populaire membre du Fatah, emprisonné depuis quinze ans en Israël, il l’emporterait de seulement 48 %, contre 43 % des suffrages pour le prisonnier politique. Enfin, en cas de triangulaire opposant Abbas, Barghouti et Haniyeh, l’actuel président serait bon dernier avec seulement 22 % des voix contre 38 % pour Barghouti et 37 % pour le chef du Hamas. Preuve du terrible désamour dont souffre l’Autorité. Pire, 52 % de la population juge que l’Autorité palestinienne représente un fardeau, contre 41 % qui considèrent à l’inverse que son action est bénéfique.
De fait, selon une enquête du Palestinian Center for Policy and Survey Research (PSR), près de 57 % des personnes interrogées considèrent que la création de deux États voisins, dont un État palestinien autonome dans les frontières de 1967, est incompatible avec l’expansion des colonies, jugée trop avancée.

« Soutenir la solution à deux États n’est pas une question de choix, mais de survie, elle est la seule acceptable pour nous », tempère de son côté Hanan Ashrawi, figure de la politique palestinienne et membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). « La création d’un seul État signifierait un Israël de la mer Méditerranée à la mer Morte, où les Palestiniens n’auraient aucun droit », poursuit-elle, fidèle à la position officielle de l’Autorité palestinienne (AP), l’instance dirigeante présidée par Mahmoud Abbas.

Au sein de cette instance, des voix dissonantes commencent néanmoins à se faire entendre. Ainsi, Saeb Erekat, négociateur historique de l’AP avec Israël et farouche partisan de la solution à deux États pendant des années a récemment déclaré que celle-ci était « morte » et que la création d’un État binational, où Israéliens et Palestiniens auraient chacun leur nationalité mais vivraient au sein des mêmes frontières, était la seule et unique voie possible. Mais certains analystes estiment que c’est là seulement une position rhétorique afin de peser dans les négociations avec Israël.

D’abord longtemps défendue par les principales organisations palestiniennes (à l’exception du Hamas et du Jihad islamique), l’idée d’une grande Palestine démocratique et laïque dans laquelle juifs et Arabes vivraient en harmonie disparaît du discours palestinien au profit de la solution à deux États lors des accords d’Oslo en 1993. Vingt-cinq ans plus tard, au sein de la société palestinienne, le principe d’un État binational est soutenu par seulement 28 % de la population (toujours selon l’enquête du PSR), mais l’idée semble rallier un nombre croissant de partisans, notamment parmi les plus jeunes.

Étudiant en cinéma et médias au Bard College de l’université Al-Quds d’Abu Dis, une commune située à quelques kilomètres de Jérusalem mais séparée de la ville sainte par le mur, Hakam Zaccaria Abu Laban refuse l’héritage d’une Palestine qu’il faudrait défendre à tout prix, un legs qu’il considère davantage comme un fardeau. « Ma génération est née juste après la première Intifada et a vécu la seconde au début des années 2000, puis les guerres à Gaza. Je refuse de continuer à vivre dans ces conditions. Je préfère penser à moi avant de penser à cet endroit, et, si je peux, je partirai », explique le jeune homme, issu d’une famille de réfugiés. Pour lui, la solution d’un État binational est la seule compatible avec le droit au retour pour les réfugiés palestiniens chassés de leurs terres au moment de la création de l’État d’Israël en 1948.

Hamada Jaber, membre de la One State Foundation, partage l’avis du jeune homme. Cette organisation tente de fédérer en son sein les associations, palestiniennes et israéliennes, qui œuvrent pour voir un jour se concrétiser la création d’un État unique où Israéliens et Palestiniens disposeraient des mêmes droits. « La solution à un État n’est pas un choix par défaut. On la défend car on est convaincus que c’est la meilleure solution. » Pour le chercheur, la situation d’« apartheid » vécue aujourd’hui par les Palestiniens de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza, entravés dans leur liberté d’aller et venir librement, a déjà tout d’une solution à un État, mais sans aucun bénéfice pour les Palestiniens, Israël contrôlant de fait l’ensemble de la Cisjordanie, y compris la zone A, officiellement sous administration palestinienne. « Une solution à deux États ne résoudra pas le conflit, les tensions resteront. Pour que les gens vivent en paix, il faut que les questions de droit au retour et d’égalité citoyenne soient absolument résolues ! Ce sont les racines du conflit », poursuit Hamada Jaber.

Pour Israël, le principe même d’un seul État est un dilemme. Car, dans l’hypothèse aujourd’hui purement théorique où cette solution viendrait à se concrétiser, les Israéliens se retrouveraient en minorité et confrontés à un choix de taille : rester fidèle au projet d’un « grand Israël » de la mer Méditerranée à la mer Morte – mais dans lequel, pour ne pas renoncer au caractère « juif » de l’État, les Palestiniens n’auraient pas les mêmes droits qu’eux –, ou bien accepter l’idée d’un État binational avec des droits égaux pour tous, mais aux dépens du caractère juif d’Israël. Ce qui est totalement exclu dans le rapport de force actuel.

Chez les Palestiniens favorables à cette idée, obtenir des droits similaires à ceux des Israéliens est, paradoxalement, souvent considéré comme secondaire. Ce n’est en tout cas pas un préalable. Il faut commencer par obtenir la liberté de circuler, pour ensuite, et seulement dans un second temps, se battre en vue d’obtenir une égalité des droits. « Les Arabes israéliens de 1948 ont dû lutter pour avoir des droits, on peut très bien faire comme eux », estime Hakam Zaccaria Abu Laban. Elle aussi étudiante au Bard College, Batoun Shawma, 23 ans, juge avec circonspection les paroles de son ami. « La situation actuelle est préférable à la création d’un seul État, car j’ai peur que cela nous fasse perdre une partie de notre identité palestinienne, comme cela est déjà un peu le cas à Jérusalem-Est », où vivent aujourd’hui un grand nombre de colons israéliens.

Quelle que soit leur opinion sur l’avenir de la question nationale, tous les Palestiniens font aujourd’hui le même constat : la question ne peut être résolue qu’avec un changement profond au sein de l’Autorité palestinienne (voir encadré ci-contre), que beaucoup jugent corrompue et sans marges de manœuvre face à un État israélien tout-puissant et avec lequel l’AP entretient des liens étroits, notamment en matière de politique sécuritaire. Selon toujours la même enquête du PSR, 68 % des Palestiniens souhaiteraient que Mahmoud Abbas démissionne. Certains, comme Hamada Jaber, vont même plus loin. « Pour que de réels changements aient lieu, l’Autorité palestinienne doit disparaître pour faire place à une nouvelle structure. Un mouvement indépendant qui naîtrait de la société civile, d’une action comme celle de la Marche du retour. »

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