En grève de la faim pour le droit de visite à son mari sahraoui

Claude Mangin-Asfari est en grève de la faim depuis le 18 avril pour dénoncer l’interdiction de visiter son mari, militant sahraoui emprisonné au Maroc.

Quentin Bleuzen  • 16 mai 2018
Partager :
En grève de la faim pour le droit de visite à son mari sahraoui
© photo : Quentin Bleuzen

Allongée sur un matelas, dans une petite pièce, au premier étage de la mairie d’Ivry-sur-Seine, cela fait 27 jours que Claudine Mangin-Asfari n’a pas mangé lorsque nous la rencontrons. « Je me sens affaiblie, j’ai froid, mon rythme cardiaque a beaucoup baissé et mon taux de sucre aussi », résume-t-elle après la visite quotidienne du médecin. La grève de la faim est le seul moyen qu’a trouvé l’enseignante de 62 ans pour revoir son mari, incarcéré au Maroc pour son militantisme en faveur de l’autodétermination du Sahara occidental. Après plus de trois semaines de jeûne, Claude Mangin-Asfari a perdu 10 % de son poids, elle entre dans la troisième phase où « le corps va chercher le sucre dans les muscles », dont le cœur …

Elle et son mari se sont rencontrés en France : Ennaâma Asfari, avait fait le voyage pour ses études de droit, il logeait chez Claude Mangin. « On a fini par s’épouser en 2003, quatorze ans de mariage, dont sept ans et demi de visites en prison », confie-t-elle. En novembre 2010, le juriste sahraoui est incarcéré pour son implication dans l’organisation du camp de Gdeim Izik. 20 000 Sahraouis rassemblés dans la banlieue de Laâyoune, la capitale du Sahara occidental, dénoncent alors les discriminations politiques et économiques qu’ils subissent. Lors de son démantèlement, un jour après l’arrestation d’Ennaâma Asfari, onze membres des forces de l’ordre et deux civils ont perdu la vie. Vingt-cinq militants sahraouis, dont Ennaâma Asfari seront jugés pour ces faits au cours de deux procès, militaire puis civil, hautement contestés, comme l’a rapporté Politis.

À lire aussi >> Sahara occidental-Maroc : Justice bafouée pour 25 militants

C’est durant le deuxième procès, en octobre 2016, que Claude Mangin-Asfari se voit refuser l’entrée du territoire marocain. Au même moment, le Comité contre la torture de l’Onu examine la plainte de son époux. Le verdict du Comité tombe un mois plus tard, il reconnaît les tortures à l’encontre des détenus, demande au Maroc d’indemniser les victimes et de ne pas faire subir de représailles aux familles. Mais les représailles ne cesseront pas. À quatre reprises Claude Mangin est refoulée du Maroc, sans justification. En juillet 2017, après s’être retiré du procès, considéré comme une « parodie de justice », son époux est à nouveau condamné à 30 ans de prison.

En plus du soutien de l’association Association des amis de la République arabe sahraouie démocratique (AARASD), qui la suit au quotidien, et de la mairie d’Ivry, qui l’accueille, des personnalités politiques de tous bords ont rendu visite à la jeûneuse : Pierre Laurent (secrétaire national du PCF), Mathilde Panot (députée FI), Jean-Paul Lecoq (député PCF), Albane Gaillot (députée LREM)… L’évêque de Créteil a également rencontré Claude Mangin, ainsi que l’acteur Pierre Richard (« Le grand blond »). Une pétition en ligne « pour le respect du droit de visite » a recueilli plus de 5 200 signatures.

Le 7 mai, après 19 jours de jeûne, Claude Mangin reçoit une lettre du président Emmanuel Macron, indiquant qu’il chargeait le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, d’obtenir l’autorisation d’entrée sur le territoire. Deux jours plus tard, M. Fourrière, sous-directeur pour le Maghreb au Quai d’Orsay, et M. Croquette, ambassadeur des droits de l’homme au sein du gouvernement, lui rendent visite et lui expliquent qu’ils attendent toujours une réponse du Maroc. « Pour moi, ça signifie que ça reste au niveau administratif », indique Claude Mangin.

Mardi, le député Jean-Paul Lecoq a questionné Jean-Yves Le Drian à l’Assemblée nationale, précisant que la « situation dépend directement du roi et (que) seul le Président ou (le) Premier ministre peuvent faire évoluer la situation ». Avant de conclure : « Pourrez-vous garantir que la France fera respecter le droit international pour l’une de ses citoyennes ? » Le ministre a répondu qu’il suivait de près l’affaire « ainsi que le Premier ministre et le Président ». Ajoutant être « intervenu plusieurs fois officiellement et personnellement auprès de (son) collègue marocain ». Le cas de Claude Mangin irrite les plus hautes sphères du pouvoir marocain, un accord ne semble pas encore d’actualité. « Je concentre les trois sujets tabous de la société marocaine : la position du roi, le Sahara occidental, et la religion, puisque je suis chrétienne », explique l’intéressée. Qui reste déterminée dans son combat pour revoir son mari.

À lire aussi >> Sahara occidental : « Le Maroc est une puissance occupante »

Monde
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« Des résistances à Trump s’organisent, sans lien avec le Parti démocrate »
Midinale 11 juin 2025

« Des résistances à Trump s’organisent, sans lien avec le Parti démocrate »

Tristan Cabello, historien, spécialiste des États-Unis, professeur à l’université Johns Hopkins, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Génocide dans la bande de Gaza : le temps de la justice
Justice 11 juin 2025 abonné·es

Génocide dans la bande de Gaza : le temps de la justice

Ces derniers jours, une Française a déposé plainte contre Israël, et une information judiciaire a également été ouverte par le parquet national antiterroriste contre des Franco-Israéliens. Ces procédures ne stopperont pas le génocide en cours mais elles participent à briser un lourd silence.
Par Céline Martelet
En Cisjordanie occupée, porter secours au péril de sa vie
Reportage 11 juin 2025 abonné·es

En Cisjordanie occupée, porter secours au péril de sa vie

En première ligne, les médecins, secouristes et ambulanciers prennent tous les risques pour venir en aide aux personnes nécessitant une aide médicale. Depuis le 7-Octobre, ils sont pourtant la cible des tirs israéliens qui se multiplient.
Par Louis Witter
Des deux côtés de l’Atlantique, la social-démocratie n’est jamais finie (mais c’est pas jojo)
Analyse 6 juin 2025

Des deux côtés de l’Atlantique, la social-démocratie n’est jamais finie (mais c’est pas jojo)

Les gauches sont bien à la peine à l’échelle mondiale. Trop radicales, elles perdent. Les moins radicales sont diabolisées. Toutes sont emportées dans un même mouvement. Pourtant, dans un monde où les vents de l’extrême droite soufflent fort, la social-démocratie n’a pas encore perdu la partie.
Par Loïc Le Clerc