Le mythe de l’entreprise

Plus d’un tiers de la richesse produite en France (son PIB) l’est par le secteur non-marchand.

Jérôme Gleizes  • 27 juin 2018 abonné·es
Le mythe de l’entreprise
© photo : CHARLES PLATIAU / POOL / AFP

Dans ma précédente chronique (Politis n° 1498), je rappelais que la théorie économique standard défend la concurrence car, grâce à celle-ci, les profits des entreprises tendraient vers zéro. Cette propriété permet souvent de justifier la supériorité du privé (des entreprises) sur le public, car il serait plus apte à produire. En réalité, l’opposition privé/public est assez inopérante, et il vaut mieux lui opposer la distinction marchand/non-marchand. Ce n’est pas la forme juridique qui importe, mais l’organisation et l’objectif de l’entreprise. Nous pouvons avoir des entreprises qui, au lieu de chercher le profit maximum, partagent leurs bénéfices avec leurs salariés. À l’inverse, nous pouvons avoir des coopératives qui se comportent comme les pires entreprises prédatrices. Le Crédit agricole, par exemple, est une banque coopérative…

Par ailleurs, l’opposition public/privé se réduit souvent à l’opposition État/entreprises. Pourtant, plus d’un tiers de la richesse produite en France (son PIB) l’est par le secteur non-marchand. Et celui-ci ne se limite pas à l’État. Il y a les institutions sans but lucratif au service des ménages, essentiellement l’économie sociale et solidaire. Sa richesse est évaluée à son coût de production. Ainsi, augmenter les salaires du secteur, c’est, contre-intuitivement, augmenter la richesse produite, le PIB ! En fait, c’est reconnaître directement que le travail produit la richesse, comme le disaient Marx… et Adam Smith. L’important reste le service et la production réalisée. D’ailleurs, la théorie économique standard reconnaît que le salaire doit être égal à la productivité marginale du travailleur. Ce n’est pas seulement un coût, mais ce qui permet à l’entreprise de créer de la richesse ou ce qui permet de réaliser le service non-marchand.

Cette logique n’est pas comprise par le gouvernement Macron. Au contraire, il impose une contractualisation des dépenses aux collectivités territoriales, indépendamment des services rendus ou des investissements prévus, et des recettes attendues. Tout nouveau collège, gymnase ou piscine devra se faire à dépenses constantes. À terme, le risque de privatisation est élevé, avec la fin des délégations de service public (DSP) comme horizon.

Pourtant, de nombreuses DSP des collectivités territoriales sont déjà gérées par des entreprises du secteur privé dans les domaines de l’eau, des déchets, du transport… Il y a aujourd’hui un mouvement de remunicipalisation (notamment pour la distribution de l’eau) qui permet de récupérer indirectement la rente que les entreprises accaparent sur le dos des consommateurs. La cour régionale des comptes francilienne a montré l’efficacité du modèle de la régie Eau de Paris et critiqué certaines dépenses de la délégation faite à Veolia par le Syndicat des eaux d’Île-de-France, qui correspondent à des transferts de charge de l’entreprise à la DSP. Résultat, le coût de l’eau est moins élevé à Paris qu’en banlieue. Il est logique qu’une régie préfère baisser le tarif, tandis qu’une entreprise privée doit rémunérer ses actionnaires. Ainsi, il est temps d’arrêter de considérer que l’entreprise privée est la forme optimale de l’organisation de la production de biens et de services.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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