Lycéens : « Plus ils répriment, plus il faut se rassembler »

Quelques centaines de jeunes ont défilé jeudi à Paris contre la sélection à l’université et en soutien aux inculpés du lycée Arago. Reportage.

Daryl Ramadier  • 8 juin 2018 abonné·es
Lycéens : « Plus ils répriment, plus il faut se rassembler »
© photos : Daryl Ramadier

Officiellement, la manifestation organisée jeudi entre la place Saint-Michel et la gare d’Austerlitz à Paris se voulait « contre Parcoursup et la sélection à l’université ». Mais dans le cortège, les événement survenus le 22 mai dernier étaient dans toutes les têtes. Ce jour-là, celui de la publication des premiers résultats de Parcoursup, une centaine de personnes avait pénétré dans le lycée Arago pour y tenir une assemblée générale. Délogés par les forces de l’ordre, 102 personnes ont été placées en garde à vue dans des conditions indignes (droits non-notifiés, cellules insalubres…). Parmi elles, des dizaines d’étudiants et de lycéens. Quatorze mineurs attendent leur audience, fixée au 15 juin. Motifs retenus : « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations » et « intrusion dans un établissement scolaire ».

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« Le but est clair : réduire au silence cette population, considère Me Arié Alimi, avocat au barreau de Paris et défenseur d’une partie des jeunes interpellés. Aussi bien en dissuadant les jeunes de participer de nouveau à une action citoyenne qu’en intimidant leurs parents. » Seize jours après les arrestations, Isabelle tenait à être présente dans la rue pour montrer que cette stratégie ne fonctionne pas. Sur le boulevard Saint-Michel, sa pancarte « Mères contre la répression » ne passe pas inaperçue auprès des manifestants. Ils savent, implicitement, à quoi elle fait allusion. Son fils fait partie des 102 interpellés. Elle ne l’avait retrouvé que le 24 mai après « une garde à vue de quarante heures », confie-t-elle sur un ton grave. Le 15 juin, elle sera au tribunal de grande instance de Paris.

Un échauffement avant le 15

Dans le cortège, la date a déjà été cochée par beaucoup. « Un rassemblement est prévu pour la relaxe des inculpés du lycée Arago » annonce Lucie, étudiante à l’université Paris-Nanterre. Elle fait partie du collectif de jeunes qui tente d’organiser la mobilisation, et annonce avoir déjà reçu le soutien de « beaucoup de syndicats, d’artistes, d’élus de gauche et d’extrême gauche ». Comme Isabelle, elle s’est décidée à prendre la rue après avoir été confrontée aux forces de l’ordre. Son déclic s’est produit le 9 avril, lorsque sa faculté a été évacuée par des CRS.

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De Saint-Michel à Austerlitz, les slogans contre la politique du gouvernement succèdent à ceux condamnant les violences policières. « On veut la fac, pas la BAC », scande Gabriel dans son mégaphone. Habitué des manifestations, cet étudiant en deuxième année de cinéma a été touché par une grenade le 1er mai. « Et ça ne m’a pas calmé, tonne-t-il pour dénoncer la contre-productivité de la méthode. Au contraire, ça me révolte encore plus ! » Lui aussi était présent le 22 mai. Il frissonne en repensant à l’épisode d’Arago, dans lequel plusieurs de ses amis ont été embarqués. « On a attendu pendant presque deux jours ! se souvient-il, la voix émue et indignée. Quand ils sont sortis, on s’est tous pris dans les bras… Humainement, c’était à la fois fort et terrible. »

© Politis

Partis sur les coups de 13h30, les quelques centaines de manifestants ont rallié le pont d’Austerlitz en environ une heure. Un défilé rapide, bruyant et tonique, à l’image des participants : majoritairement des étudiants et lycéens. Très peu d’élèves de terminale étaient cependant mobilisés. « Ils ont le bac à réviser ! rappelle une adolescente qui termine son année de seconde. Si j’avais été dans leur cas, je n’aurais pas non plus eu le temps de mettre les pieds dans une manif… Déjà qu’il faut arriver à gérer la préparation des épreuves avec le stress de la sélection. »

Portée par la jeunesse, la contestation ne se limite pas au cercle étudiant. Dans les rangs, les drapeaux de syndicats indique la présence d’enseignants. Guitare à la main, Julien, trentenaire, est venu mettre de l’ambiance dans le cortège. Un peu plus en retrait, Agnès, retraitée, reste vigilante. Pin’s Non à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sur la poitrine, elle dit participer à la marche « pour surveiller les forces de l’ordre. On les a à l’œil, prévient-t-elle. Après ce qu’il s’est passé, il faut rester sur ses gardes ». Pas un véhicule n’échappe à son regard. Son appareil photo est rempli de clichés des policiers présents sur place, dans l’espoir que cela les dissuade d’agir avec violence. Ou pour s’en servir contre eux le cas échéant.

À Austerlitz, plusieurs groupes de postiers et cheminots attendaient les étudiants. Le reste des manifestants est arrivé sur les lieux peu avant 15h30, après une assemblée générale inter-gares. Ce n’est pas encore la convergence des luttes souhaitée mais, dans la foule, on se satisfait de l’union de militants de divers horizons. Pour Lucie, ce tableau doit être reproduit vendredi prochain, devant le tribunal de grande instance de Paris. « Plus ils nous répriment, plus il faut se rassembler », lance-t-elle. Elle appelle les syndicalistes de tous bords à se montrer solidaires avec les inculpés du lycée Arago, et promet de faire de même lorsqu’il faudra se battre pour leurs causes.