Festival d’Avignon : En quête d’alternatives

Sous le signe de l’émancipation individuelle et collective, le festival met à l’honneur des artistes qui questionnent la notion de genre.

Anaïs Heluin  • 4 juillet 2018 abonné·es
Festival d’Avignon : En quête d’alternatives
photo : « Saison sèche » interroge les mécanismes d’oppression.
© Jean-Luc Beaujault

Le regard fixe, inexpressifs, les visages d’enfants qui émergent d’un grand tissu immaculé sur l’affiche de la 72e édition du Festival d’Avignon semblent tout droit sortis du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Peints par Claire Tabouret, figure montante de l’art contemporain, ils suscitent chez le spectateur un sentiment ambigu. Révolte ou acceptation de la dissolution de l’individu dans le groupe ?

Consacré à l’idée d’alternative, l’édito d’Olivier Py, qui débute cette année son second mandat de quatre ans à la tête du Festival, offre un début de réponse et donne le ton de l’événement. « Parfaite définition de l’art : une singularité qui concentre tant d’énergie positive qu’elle peut courber le temps et arrêter l’héritage du malheur », y lit-on par exemple.

Après une 71e édition centrée sur les femmes et la création africaine, le cru 2018 va chercher l’énergie en question à travers des œuvres consacrées non seulement à l’enfance, mais aussi à la migration et au genre. Un sujet qui tient particulièrement à cœur au directeur du festival, créateur du personnage de travesti de Miss Knife qu’il incarne régulièrement dans des spectacles de cabaret. En la matière, il fait preuve d’une audace qu’on ne retrouve que de manière inégale dans le reste de la programmation. Tandis qu’en ouverture Thomas Jolly et sa compagnie Piccola Familia joueront dans la Cour d’honneur Thyeste de Sénèque, c’est en effet loin des classiques que sera abordée la construction sociale et culturelle du masculin et du féminin. Et la trans-identité.

Confié au metteur en scène David Bobée (lire notre entretien), le feuilleton théâtral _Mesdames, messieurs et le reste du monde fera la part belle à des artistes singuliers, dont certains sont également au programme du in. C’est le cas de Gurshad Shaheman, dont le superbe triptyque autofictif ­Pourama Pourama, créé il y a deux ans à L’Échangeur de Bagnolet, exprime la difficulté à se dire sur un plateau lorsqu’on est iranien, homosexuel et exilé. Dans sa nouvelle création, Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, il s’est, selon ses termes, « donné pour mission d’aller à la quête d’autres histoires d’exil, d’amours interdites et de guerre, et d’en rassembler les fragments sous la forme d’un oratorio pour le théâtre ».

Lui aussi invité pour la première fois au Festival d’Avignon, Didier Ruiz poursuit dans Trans (més enllà) son procédé de la « parole accompagnée ». Après avoir mis en scène d’anciens détenus dans Une longue peine, il interroge ici l’enfermement de ceux qui « ne se reconnaissent pas dans le corps avec lequel ils sont nés ».

Avec La Reprise. Histoire(s) du théâtre (I), réflexion à partir du meurtre d’un homosexuel à Liège en 2012, le metteur en scène Milo Rau, nouveau directeur du Théâtre de Gand en Belgique, offre quant à lui une illustration de son Manifeste, qui a fait grand bruit. Où il revendique un théâtre démocratique en prise avec les violences du présent.

À l’invisibilité des personnes transsexuelles, le Festival oppose des paroles et des corps du dehors. Mais, pour se mettre au diapason de cette question de société, le théâtre adopte aussi des formes moins documentaires. « Parcours initiatique par l’invention d’un corps, d’avatars transgenres capables d’affronter un pouvoir patriarcal qui semble immuable », Saison sèche de Phia Ménard est, par exemple, une performance qui interroge les mécanismes d’oppression. Et qui, avec les pièces citées plus tôt, fait de cet Avignon une perspective réjouissante.

Thyeste, Cour d’honneur du Palais des papes, 6-15 juillet (relâche le 11), 21 h 30.

Pourama Pourama, jardin Ceccano.

Trans (més enllà), gymnase du lycée Mistral, 8-16 juillet (relâche le 12), 22 h.

La Reprise. Histoire(s) du théâtre (I), gymnase du lycée Aubanel, 7-14 juillet (relâche le 11), 18 h.

Saison sèche, L’Autre Scène du grand Avignon-Vedène, 17-24 juillet, 18 h.

Théâtre
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