L’impunité de Benalla, reflet de la banalisation des violences policières

Deux ans après la mort d’Adama Traoré, les participants de la marche organisée à Beaumont-sur-Oise contre les violences policières ont dénoncé l’impunité dans laquelle a agi Alexandre Benalla.

Malika Butzbach  • 25 juillet 2018 abonné·es
L’impunité de Benalla, reflet de la banalisation des violences policières
© photo : FRANCOIS GUILLOT/AFP

Il porte sa casquette à l’envers et le tee-shirt « Justice et vérité pour Adama Traoré ». Ce 21 juillet, Taha Bouhafs se tient aux côtés de la famille Traoré devant la mairie fermée de Persan (Val-d’Oise). Dans moins d’une heure débute la marche du comité La Vérité pour Adama, deux ans après la mort du jeune homme dans les locaux d’une gendarmerie, dans des circonstances toujours inexpliquées. Membre du comité, le militant insoumis de 21 ans est au centre de l’attention médiatique du pays. « L’homme qui fait trembler la République », le salue Éric Coquerel, député France insoumise, lui aussi présent.

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Taha Bouhafs est celui qui a filmé et diffusé la vidéo du 1er Mai, place de la Contrescarpe à Paris, qui a permis l’identification d’Alexandre Benalla. « Le plus dingue, c’est que, lorsque j’ai publié cette vidéo sur les réseaux sociaux, le soir même elle a été partagée mais absolument aucun média ne s’en est emparé, souligne-t-il. Si Benalla avait été un vrai flic, il n’y aurait pas eu un tel buzz. Ça montre bien qu’il y a une banalisation des actes de violences policières. » Autour de lui, tout le monde hoche la tête. « C’est dommage que l’on ait besoin de l’affaire Benalla pour parler de la violence policière », regrette Mahamadou Camara, dont le frère, Gaye, a été tué d’une balle dans la tête par un policier, en janvier dernier, à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis).

« Avec le brassard de policier, on se sent intouchable ! »

Sur une pancarte où sont dessinées des taches de sang, on peut lire « L’État protège des Benalla. Nous, on veut sauver des Adama. » Assa Traoré, sœur d’Adama et porte-parole du comité, rappelle que, si la mort de son frère est « une bavure », elle doit être prise en compte dans un processus plus global. _« Aujourd’hui, on marche pour dénoncer tout ce système policier. Alexandre Benalla, par ses actes, en reflète la violence. » Pour Lassana, l’aîné de la famille Traoré, ce n’est pas un hasard si Alexandre Benalla a choisi de porter le brassard et le casque des policiers lors de la mobilisation du 1er Mai : « En se déguisant en policier, il montre la brutalité de cet uniforme. Quand on met le brassard et le costume de policier, on se sent intouchable ! »

Dans le cortège défilent aussi bien des proches de victimes de violences policières que des postiers en grève et des étudiants. Parmi eux, Margaux, venue de Seine-Saint-Denis, est catégorique. « Pour moi, il y a un lien entre ces deux affaires : c’est l’impunité. » Même sensation pour Lassana Decouré, 27 ans. Il connaissait bien Adama et s’indigne de la justice qui traîne depuis deux ans déjà. « Benalla n’a pas été puni. Nous, on attend toujours que les policiers soient auditionnés. Dans les deux cas, on voit qu’en portant un brassard ils peuvent faire ce qu’ils veulent », lance le jeune homme, alors que le cortège passe devant la gendarmerie de Persan, où est mort son ami.

Justice à deux vitesses

« Il y a des personnes qui se pensent au-dessus des lois », observe Éric Coquerel, l’écharpe tricolore en bandoulière. Mais le député France insoumise réfute la comparaison entre les deux affaires. « Pour Benalla, il n’y a pas eu justice, puisque l’Élysée a tenté de cacher les faits. Tandis que pour la mort d’Adama Traoré, la justice tarde. » Même analyse du côté de Benoît Hamon, de Génération·s : « Le sentiment d’une justice à deux vitesses est très grave. Il y a une République pour les uns et pas pour les autres. » Parmi la foule qui traverse les rues de Beaumont-sur-Oise, loin des personnalités politiques de gauche présentes, de petits groupes scandent « Justice pour Adama comme pour Benalla ! »

Mathias*, keffieh autour du cou, est de ceux qui crient le plus fort. « Comment ne pas faire le lien ? La différence entre les deux affaires, c’est que l’une a été filmée, pas l’autre. » Pour la famille Traoré aussi, cet élément a son importance : « Lorsque l’on voit des vidéos des violences policières, tout le pays est choqué, explique Lassana Traoré. Ça a été le cas pour Benalla, pour d’autres scandales. Imaginez si la mort de mon frère avait été filmée… Cela se serait peut-être passé différemment. » Lorsqu’une journaliste lui demande quel message adresser aux jeunes venus manifester ce jour-là, la mère d’Adama, Oumou Traoré, répond avec un seul verbe : « Filmez. Filmez tout ce que vous pouvez. »

(*) Le prénom a été changé

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