Emmanuel Macron ou l’impérialisme au suffrage universel direct

TRIBUNE. L’avocat Vincent Brengarth montre que l’actuel président de la République avance vers une très forte concentration des pouvoirs, au prétexte de légitimité populaire.

Vincent Brengarth  • 9 octobre 2018
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Emmanuel Macron ou l’impérialisme au suffrage universel direct
© photo : ludovic MARIN / AFP

Le peuple est parfois l’artisan de son propre malheur. Le 20 septembre 1962, le général de Gaulle préconisait d’élire le président au suffrage universel direct « sans que doivent être modifiés les droits respectifs, ni les rapports réciproques des pouvoirs, exécutif, législatif, judiciaire (…) mais en vue de maintenir et d’affermir dans l’avenir nos institutions ». Adoptée par référendum le 28 octobre 1962, cette innovation constitutionnelle a essentiellement servi de tremplin à une pratique autocentrée du pouvoir, au mépris de la promesse du chef de la France libre. Avant la révision constitutionnelle, Louis Napoléon avait lui aussi été élu au suffrage universel direct, avant de renverser la République par un coup d’Etat.

Paradoxalement, là où elle devrait faire naître une responsabilité plus grande, la légitimité populaire est assimilée à un blanc-seing qui autoriserait les dérives à la fois politiques et personnelles. Ces dernières trouvent d’autant moins obstacles que le président de la République, dont la responsabilité est encadrée par les articles 58, 67 et 68 de la Constitution, est irresponsable politiquement. S’il existe un pouvoir de destitution du Parlement siégeant en Haute Cour, cette hypothèse relève presque entièrement de la théorie. L’élection au suffrage universel direct s’est, en pratique, faite véhicule d’une certaine impunité que ne permet pas de compenser la présence de contre-pouvoirs.

L’exemple récent le plus représentatif de cette tendance est probablement symbolisé par cette phrase d’Emmanuel Macron, prononcée en plein cœur de l’affaire Benalla, « le seul responsable, c’est moi, qu’ils viennent me chercher ». Quelques mois plus tard, alors qu’était prévue l’audition par le Sénat de l’ancien homme de main de l’Élysée, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, exprimait ses réserves en appelant pourtant à la séparation des pouvoirs. Elle déclarait plus précisément dans une tribune « le président de la République, distinct constitutionnellement du gouvernement – et tout ce qui touche à la fonction présidentielle –, ne saurait faire l’objet d’une commission d’enquête car cela reviendrait dans les faits à rendre le chef de l’État, qui tire sa légitimité directement du peuple souverain, responsable devant le Parlement ».

Irresponsabilité

C’est ainsi la légitimité populaire, opposée au demeurant à celle du Sénat, qui sert de refuge à l’irresponsabilité. Qui plus est venant d’un ministre, l’argumentation souffre d’autant plus de critiques que, faut-il le rappeler, c’est le président de la République qui nomme et accepte la démission du Premier ministre en dehors des périodes de cohabitation. L’exécutif dispose ainsi de fusibles pour couvrir ce qui découle de son propre exercice individuel.

Chaque président de l’exécutif est ainsi prompt à renforcer ses propres pouvoirs, sans pour autant concevoir ni même admettre de contreparties. La réforme constitutionnelle, suspendue cet été précisément en raison de l’affaire Benalla, ambitionne même de réduire les pouvoirs du Parlement au profit de l’exécutif, ce qui annonce une probable nouvelle offensive présidentielle à contre-courant de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Il relève pourtant des pouvoirs du président de la République d’assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ce qui implique aussi la pérennisation du système démocratique. Si, dans un même système, le pouvoir exécutif est totalement subordonné et le Parlement empêché de dissonance par le fait majoritaire, il n’existe plus aucun contre-pouvoir susceptible de contrarier la marche présidentielle, et ce quelles que soient ses intentions. Cette réunion de circonstances atomise la démocratie, pour prendre l’apparence d’un coup d’état institutionnel.

L’article 64c faisant curieusement du président de la République le « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire », il n’est guère surprenant que ce déséquilibre institutionnel ne vienne pas à être rétabli par une justice dont l’indépendance serait réellement garantie. En effet, même la Commission européenne pour l’efficacité de la justice a estimé que les parquets français manquaient d’indépendance. À l’envers de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le lien entre le parquet et le pouvoir exécutif « ne saurait être totalement rompu ».

L’aspiration à la concentration des pouvoirs du présent régime confine à une forme de nouvel impérialisme prétextant de la légitimité trompeuse du suffrage universel direct.

Le pouvoir présidentiel, qui bénéficie souvent de l’hypermédiatisation, est tel qu’il traverse les crises – dont les récentes démissions de Nicolas Hulot et Gérard Collomb sont un nouvel exemple – parce que s’est installée une forme de résignation dont la pérennité ne fait que s’accroître. Une fois lancé, le présidentialisme est structurellement incontrôlable, puisque le président n’a plus à répondre de ses agissements, et nous renvoie à la réalité de la création constitutionnelle du peuple français.

L’élection au suffrage universel direct suscite tous les fantasmes mais elle est aussi le premier rouage de pratiques qui, dans une interminable surenchère, tendent vers toujours plus de présidentialisme. Ce dernier finit cependant par se confondre avec l’impérialisme.

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