Une jeunesse sacrifiée

Dans les quartiers prioritaires, les services publics doivent être réinvestis.

Sabina Issehnane  • 7 novembre 2018 abonné·es
Une jeunesse sacrifiée
© photo : GEORGES GOBET / AFP

L****es dernières semaines du mois d’octobre ont été marquées par la mort de plusieurs adolescents lors de rixes entre bandes rivales dans des quartiers populaires. Même si le facteur économique n’est pas l’unique raison de ces « morts pour rien », force est de constater que ces événements tragiques sont le symptôme d’un abandon des jeunes des quartiers populaires. Rappelons qu’ils subissent un taux de chômage plus de deux fois supérieur à celui de l’ensemble des jeunes en France, et qu’un tiers d’entre eux sortent du système scolaire sans diplôme. Alors que près de 5 millions de personnes vivent dans les 1 300 quartiers prioritaires de la politique de la ville, le taux de pauvreté y atteint 42 %, soit trois fois plus que la moyenne nationale ! À la pauvreté monétaire et à la précarité (emploi, logement et transports, notamment) s’ajoutent des discriminations liées à la domiciliation, à la couleur de peau, à l’origine ou à la religion.

Face à ce constat, Emmanuel Macron et son équipe au pouvoir réitèrent le vieil adage « si tu veux, tu peux » en activant le mythe du « tous créateurs d’entreprise ». Pourtant, l’entreprenariat est moins développé dans ces quartiers qu’ailleurs. S’appuyant sur l’enquête emploi de l’Insee, l’Observatoire national de la politique de la ville souligne qu’il y a seulement 5 % d’indépendants dans les quartiers prioritaires, soit deux fois moins que dans le reste de la population. En outre, les jeunes indépendants constituent surtout une nouvelle forme de précariat, car ils sont souvent cantonnés à un ersatz de salariat, au service de plateformes numériques du type Uber ou Deliveroo. Faire croire à ces jeunes que le seul moyen de s’en sortir est de créer sa boîte, c’est oublier que la pérennité d’une entreprise dépend en particulier du montant investi à sa création, du niveau de formation et de l’expérience professionnelle du créateur – capitaux dont ne disposent généralement pas les jeunes des quartiers prioritaires, majoritairement enfants d’ouvriers ou d’employés non qualifiés.

Tant que la situation de l’emploi en France restera critique, comme c’est le cas avec l’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi au troisième trimestre 2018, les jeunes des quartiers populaires, en bas de la file d’attente, peineront à trouver un emploi. La crise économique de 2008 avait entraîné non seulement une baisse du taux d’emploi des jeunes de ces quartiers, mais également une forte augmentation de l’écart avec celui de leurs congénères en France. Une politique volontariste pour ces quartiers ne peut se passer d’une augmentation de la dépense publique. Or, le projet de loi de finances 2019 s’inscrit dans la continuité du précédent en prolongeant l’austérité et une fiscalité inégalitaire. Cette politique doit s’accompagner d’un réinvestissement des services publics dans les quartiers populaires, notamment l’école et les transports publics, sans oublier la lutte contre toutes les formes de ségrégation – spatiale et raciale. Rien de tout cela ne peut se faire sans une réelle volonté de s’attaquer aux quartiers les plus ségrégués de France : ceux où vivent les plus riches !

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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