La force politique du rap

À rebours des clichés, la revue Mouvements consacre un numéro à un genre musical porteur de critique sociale et de subversion.

Olivier Doubre  • 5 décembre 2018 abonné·es
La force politique du rap
© La rappeuse new-yorkaise Cardi B reçoit l’American Music Award du meilleur artiste hip-hop, le 9 octobre 2018 à Los Angeles.KEVIN WINTER/GETTY IMAGES/AFP

Y a-t-il vraiment un combat, une battle, du rap ? Ce style musical apparu autour des années 1980, toujours extrêmement populaire à travers la planète et auprès désormais de plusieurs générations, est-il aussi un medium de luttes politiques et sociales ? Si oui, lesquelles ? D’aucuns nieront que le rap soit aujourd’hui une musique engagée et dénonceront ses « trahisons sociales, ses dérives et sa récupération par le marché », le tout, comme il est fréquent de l’entendre, sur fond de « mise en scène d’un consumérisme clinquant, de machisme pornocrate et de la violence élevée au rang d’esthétique ». Car le rap, en général, « n’a pas bonne presse » !

C’est donc une sorte de pari que se sont lancé les coordinateurs de ce dossier spécial, au sein de la revue Mouvements, parmi lesquels on retrouve (entre autres) les chercheurs en sociologie ou en démographie Patrick Simon, Marion Carrel, Anna Zielinska et Julienne Flory. Celui de prendre pour objet « le rap » français mais aussi africain, algérien, latino-américain, en Israël et en Palestine, et également aux États-Unis, et de donner à voir si ce style musical conserve un discours contestataire, de dénonciation sociale, ou à teneur franchement subversive, c’est-à-dire n’ayant pas rompu avec le contenu des textes qui fit, en tout cas à ses débuts, sa réputation revendicative. Le collectif coordonnant ce volume est donc parti « à la recherche du politique dans la façon dont le rap traite les représentations de race, de classe et de genre, entre reproduction et transformation ».

Car au-delà, voire à rebours, des clichés machistes et de l’argent facile montrés par exemple par le gangsta rap, ce genre musical, moteur des revendications antiracistes et anticoloniales nées au départ dans les ghettos outre-Atlantique, a su, pour beaucoup de ses auteurs et interprètes, lier domination de classe, domination de genre et histoire coloniale. Comme le soulignent les coordinateurs de ce numéro, « les rappeu·r·se·s rencontrent la pensée des auteur·e·s de la pensée postcoloniale, Aimé Césaire et Frantz Fanon entre autres ». Mais, outre l’héritage des luttes contre l’esclavage et des exploitations raciales, le rap voit aussi « émerger une esthétique du rap féministe, radicale, novatrice et contestataire qui interroge sans détours les paradigmes de genre et les clichés mis à l’œuvre dans la “bataille des représentations” dans la société, mais aussi au sein même de la culture rap ». Tout un pan, rebelle, de cette culture, a en effet à se battre contre des clichés pour le moins répandus parmi ses acteurs. C’est sans doute là l’apport fondamental de cette étude, aussi insolite qu’innovante, sur un style musical trop ignoré et méprisé des sciences sociales et de la culture dite « dominante »…

« La battle du rap : genre, classe, race » Revue Mouvements, n° 96, hiver 2018-2019, La Découverte, 180 pages, 16 euros.

Idées
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