Jean-Michel Blanquer veut-il museler les profs ?

Alors que les lycéens se remobilisent contre la réforme du bac, un projet de loi entend brider les critiques des enseignants contre le ministre Jean-Michel Blanquer et ses politiques éducatives.

Ingrid Merckx  • 9 janvier 2019 abonné·es
Jean-Michel Blanquer veut-il museler les profs ?
© photo : ERIC FEFERBERG/AFP

Avec le mot-dièse #pasdevagues, lancé le 22 octobre, des enseignants dénonçaient le manque d’action du ministère de l’Éducation face aux violences. Avec le collectif les « stylos rouges », né en novembre, ils fustigent le gel du point d’indice et réclament la réduction du nombre d’élèves par classe. Œuvrant en parallèle des syndicats, les stylos rouges ont publié un manifeste le 17 décembre et comptent désormais près de 50 000 membres sur Facebook. Ces mobilisations spontanées signalent une colère qui monte dans un corps professionnel en souffrance. À cela s’ajoute le projet de loi « Pour une école de la confiance », présenté le 5 décembre, et qui sera examiné à l’Assemblée fin janvier.

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Ce texte prévoit d’abaisser l’instruction obligatoire à 3 ans, mais aussi de remplacer les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) par des Instituts nationaux supérieurs du professorat (INSP) rattachés au ministère. « Un cran de plus dans la mise au pas de l’institution scolaire ? », a commenté le pédagogue Philippe Meirieu. Également dans ce projet, la création d’un Conseil d’évaluation de l’école (CEE), piloté par le ministère, à la place du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), instance impartiale qui réunissait toutes les chapelles des sciences de l’éducation. Le CEE ne pourra pas s’autosaisir ni évaluer les politiques d’éducation, mais seulement les résultats des établissements et des élèves.

Enfin, dès son article 1, le projet Blanquer voudrait graver dans le marbre « l’engagement de la communauté éducative », avec l’évocation menaçante « d’affaires disciplinaires concernant des personnels s’étant rendus coupables de faits portant atteinte à la réputation du service public. » Ce passage a levé un vent de panique : les profs seront-ils sanctionnés s’ils critiquent la politique du ministère ? « Cet article autoritaire […] montre à quel point le mot confiance est un piège », a alerté un article du Café pédagogique le 12 décembre.

Le projet Blanquer était dans les tuyaux depuis plusieurs mois. Mais son contenu a été rendu public en pleine mobilisation des lycéens contre la réforme du bac. Violemment réprimées et éclipsées par les gilets jaunes, ces mobilisations devraient reprendre cette rentrée. Or, une partie des enseignants, syndicats compris, ont affiché leur soutien aux lycéens, ne serait-ce que pour les protéger des violences policières. En outre, le 20 décembre, une enseignante de Dijon a été convoquée par son rectorat, qui lui a rappelé son devoir de réserve. Sa faute ? Elle avait réagi à l’allocution présidentielle du 10 décembre, relatives aux gilets jaunes, en la concluant par « Emmanuel Macron est terne, Emmanuel Macron est vieux, Emmanuel Macron n’est pas un président » (1).

Les échanges ont fusé sur les contours du devoir de réserve. Beaucoup de profs tiennent des blogs : leur liberté de parole est-elle menacée ? « Il s’agit de protéger les enseignants contre d’éventuelles attaques nominatives de parents d’élèves ! », a plaidé la directrice des affaires judiciaires de l’Éducation nationale. « C’est une opération politique. Les contours du devoir de réserve sont flous, mais c’est aux juges de les apprécier, rassure Frédérique Rolet, porte-parole du Snes-FSU. Le ministre a surtout cherché à faire peur. » Les enseignants risquent un avertissement ou un blâme, ce qui pourrait suffire à museler de jeunes en attente de titularisation. « On va tout faire pour que cet article ne soit pas maintenu, insiste Frédérique Rolet. Il est très malsain dans un contexte où les enseignants souffrent de déclassement et se sentent de plus en plus bridés. Ce projet de loi traduit aussi le mépris de ce gouvernement pour les partenaires sociaux. » Lesquels soulignent que la « confiance » brandie par le ministre est contredite par la « défiance » qu’il nourrit à couvert.

(1) « Le Grand chef blanc a parlé », Sophie Carrouge, dijoncter.info.

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