Macron, l’autoritaire prioritaire

Gilets jaunes, affaire Benalla… : l’Elysée choisit la fuite en avant, avec des mesures législatives qui restreignent les droits, et des tentatives d’intimidation de la presse.

Michel Soudais  • 6 février 2019 abonné·es
Macron, l’autoritaire prioritaire
© photo : Christophe Simon /AFP

Emmanuel Macron menace-t-il les libertés publiques et les droits individuels ? La question paraîtra sans doute insultante aux macroniens. Elle surprendra peut-être ceux qui ont cru au discours qui lui a valu son élection. L’ancien ministre de l’Économie de François Hollande a certes un programme économique et social détestable, nous expliquait-on, mais au moins préservera-t-il les conditions d’une démocratie qui permettra de s’opposer et de combattre sa politique. Près de deux ans plus tard, et quelques milliers de blessés en manif, il est cependant grand temps d’interroger la pratique du pouvoir très verticale d’un Président qui, selon les propos rapportés par les cinq journalistes convoqués par lui à l’Élysée la semaine dernière, perçoit dans le pays l’aspiration à un « besoin de commandement » et estime urgent de redorer le blason des « forces organiques » qui constituent « notre identité de peuple » : la famille, les communes, les territoires, l’État. Un Président qui voit, a-t-il encore expliqué, dans la persistance des manifestations des gilets jaunes l’œuvre de « 40 000 à 50 000 ultras », militants d’extrême gauche et d’extrême droite, acharnés à « provoquer une crise de régime » car ils veulent « la destruction des institutions ».

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Quand, au plus haut sommet de l’État, ceux qui contestent la politique du gouvernement sont perçus comme des « foules haineuses », appuyées qui plus est par des puissances étrangères, comment s’étonner que les forces de l’ordre répriment avec autant de brutalité un mouvement social pourtant soutenu par une majorité de Français ? Malgré un nombre important de blessés depuis le 17 novembre (1 900 civils, 1 200 membres des forces de l’ordre, selon les autorités), le gouvernement n’envisage aucun encadrement plus strict de l’usage de la force par sa police, et récuse toute interdiction des lanceurs de balle de défense et des grenades de désencerclement. Signe d’une volonté répressive sans précédent, le nombre de gardes à vue, de comparutions immédiates et de condamnations bat tous les records pour un mouvement social. Sans grand effet sur la détermination des gilets jaunes et sur l’opinion publique qui les soutient.

Or voilà qu’après avoir transposé à l’automne 2017 des dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun, le gouvernement fait adopter à l’Assemblée une « loi anti-casseurs » (lire ici), reprise d’une proposition de loi des sénateurs de droite, plus répressive encore que la précédente législation de 1970, considérée comme liberticide et abrogée pour cela par la gauche à son arrivée au pouvoir, en 1981. Malgré les critiques de toutes les associations et instances de défense des libertés publiques. _« Si l’objectif est d’interdire aux “casseurs” de manifester, l’arsenal juridique y répond déjà », observait le secrétariat général de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le 29 janvier. Au terme d’un examen détaillé et critique des dispositions de cette nouvelle loi anti-casseurs, l’institution avertissait : « Les pouvoirs publics ne sauraient restreindre encore davantage la liberté de manifester, déjà fortement encadrée, sans porter atteinte à l’un des piliers d’une démocratie vivante. »

En ce début février, c’est la presse, autre pilier de notre démocratie, qui est dans le collimateur du pouvoir. La tentative de perquisition avortée, lundi matin, à Mediapart en est un symptôme. Les deux procureurs de la République et trois policiers qui se sont présentés à nos confrères affirmaient agir dans le cadre d’une enquête préliminaire pour atteinte à l’intimité de la vie privée d’Alexandre Benalla et de Vincent Crase, et sur les circonstances de l’enregistrement de leur conversation, gênante pour l’Élysée, révélée par Mediapart, et de l’obtention de celui-ci. Intimidation ? Emmanuel Macron, qui dès son arrivée au pouvoir n’a pas caché un certain mépris pour la presse, assorti d’une volonté de la tenir à distance, souhaite désormais « s’assurer de la neutralité » des médias publics et privés par une sorte de mise sous tutelle confiée à des journalistes « garants » payés par l’État. Ce dessein exposé librement devant nos cinq confrères témoigne de l’insatiable appétit de pouvoir d’un Président qui, ayant déjà la main sur l’exécutif, le législatif et le pouvoir judiciaire, envisage froidement de contrôler le quatrième pouvoir.

Emmanuel Macron montre décidément ces dernières semaines un autoritarisme qu’on ne qualifiera pas de dérive tant il ressemble plutôt à une fuite en avant destinée à tenter de sauver son pouvoir politique grandement ébranlé.

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