Transports : Le jeu dispendieux de l’Europe

Principal argentier du Lyon-Turin, l’Union européenne investit dans les transports en privilégiant grands projets transfrontaliers et partenariats public-privé. Une politique contestée.

Erwan Manac'h  • 20 février 2019 abonné·es
Transports : Le jeu dispendieux de l’Europe
© crédit photo : MARCO BERTORELLO/AFP

Fluidifier le transport des hommes et des marchandises au sein du marché unique est un objectif vieux comme le projet européen. Lentement mais sûrement, cette ambition est en train de faire éclore un marché libéralisé qui met les opérateurs en concurrence sur l’ensemble d’un réseau unifié. « L’objectif, pour la prochaine décennie, est de créer un véritable espace européen unique des transports en supprimant les entraves restantes entre modes et entre systèmes nationaux, en favorisant le processus d’intégration et en facilitant l’émergence d’opérateurs multi-nationaux et multimodaux », lit-on dans le « livre blanc » de l’Union européenne pour le transport.

Cette politique se traduit par le financement de projets transfrontaliers pour tisser des liens entre les réseaux nationaux. « C’est là que c’est le plus dur d’avancer, parce qu’il faut que les pays s’entendent », souligne Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), qui loue l’effort européen sur ces projets d’« interfaces transfrontalières ». Au total, 50 milliards d’euros leur sont dévolus pour la période 2014-2020, notamment pour améliorer le réseau dans les régions en retard et pour viser un objectif de réduction de 60 % des émissions de gaz à effet de serre liées au transport, en ciblant des voies non polluantes.

La manière dont ces milliards sont dépensés ne fait néanmoins pas l’unanimité. Les opposants au tunnel Lyon-Turin regrettent que, par son gigantisme, ce projet aspire des financements qui auraient été utiles ailleurs. 40 % de son budget, soit 3,4 milliards d’euros, provient de l’Union européenne. « On met tous les milliards dans le même projet », déplorait Michael Cramer, eurodéputé écologiste allemand, lorsqu’il était encore président de la commission transports du Parlement européen en 2015 (1). « Ces fonds seraient plus utiles pour doubler les voies uniques qui relient Chambéry et Annecy, Saint-Étienne et Clermont-Ferrand, ou Saint-Étienne et Le Puy-en-Velay, ajoute Daniel Ibanez, coordinateur du collectif des opposants au projet Lyon-Turin. Lorsqu’on double une voie, on triple la capacité de circulation. »

Second grief : la privatisation reste l’alpha et l’oméga de l’Europe. Les textes européens prévoient en effet que les fonds soient distribués à des projets ayant fait les efforts nécessaires pour « attirer les capitaux privés » dans le cadre de partenariats public-privé. Dans les faits, ce montage faisant reposer la construction et l’exploitation des infrastructures sur des entreprises privées est souvent privilégié. « C’est le cas pour le tunnel ferroviaire entre Perpignan et Figueras [en Espagne, inauguré en février 2009], rappelle Daniel Ibanez_. Il a été confié à Eiffage sur la base de prévisions de trafic fantaisistes. Lorsque le projet s’est avéré un gouffre financier et a été placé en liquidation_ [en septembre 2016], c’est SNCF Réseau qui a dû récupérer sa gestion ainsi que la dette. C’est le même schéma qui a été choisi pour le Lyon-Turin », soupire le militant, qui juge ainsi contradictoire la position d’une partie de la gauche locale, qui se dit favorable au Lyon-Turin mais dénonce la privatisation du rail.

Le reproche fait à l’Union européenne vise également sa porosité aux lobbys. « Il apparaît que des solutions techniques alternatives moins coûteuses ont été écartées sans avoir toutes été complètement explorées de façon approfondie », écrivait la Cour de comptes en 2012 dans un courrier cinglant au Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault. « Le pilotage de cette opération ne répond pas aux exigences de rigueur nécessaires dans la conduite d’un projet d’infrastructure de cette ampleur et de cette complexité », déplorait l’institution, soulignant d’un même mouvement « la grande implication des collectivités territoriales concernées, fortement représentées dans les instances décisionnelles et techniques de ce projet »

(1) Banque des territoires, 26 février 2015

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