C’est du sport, les courses !

Une loi pourrait désormais obliger les industriels à afficher la qualité nutritionnelle de leurs produits dans la publicité… mais pas encore sur les emballages. Un tout petit pas en avant.

Jean-Claude Renard  • 5 mars 2019 abonné·es
C’est du sport, les courses !
© photo : BURGER/Phanie/AFP

Vu à la télé ! Ou sur Internet. Ou entendu à la radio. Fin février, les députés ont adopté un amendement qui rend obligatoire l’affichage du Nutri-Score sur tous les supports publicitaires pour les produits alimentaires. Nutri-Score, qu’est-ce que c’est ? À la fois un logo et un système de notation des aliments qui suit un code couleur associé à des lettres. De A, en vert foncé, note la plus favorable, à E, en rouge, en passant par un vert clair, un jaune et un orange. Un score calculé pour 100 grammes, mesurant la teneur en nutriments d’un produit à privilégier (fruits et légumes, fibres, protéines) ou à éviter pour ses acides gras, son taux de sucre et de sel.

Le principe est que le consommateur puisse comparer les aliments et les produits transformés, jusqu’aux boissons. La même idée avait été présentée en mai 2018 au moment des débats sur la loi agriculture et alimentation, et rejetée par les députés et le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, sous la pression notamment des grands patrons de l’audiovisuel (de Delphine Ernotte, à France Télévisions, à Gilles Pélisson, à TF1, en passant par Lagardère active et NRJ), qui craignaient de faire fuir les annonceurs.

Cette nouvelle mesure portant sur la publicité vient des rangs de La France insoumise, dans le cadre de sa niche parlementaire annuelle, avec une proposition de loi sur les dangers de la malbouffe, responsable de maladies chroniques comme le diabète, les affections cardiovasculaires et l’obésité. La France insoumise entendait à l’origine imposer une baisse des taux de sel, de sucre et des acides gras dans les aliments transformés. Balle peau. Ce volet a été retoqué.

La proposition adoptée ce 21 février, contre l’avis du gouvernement, a été entièrement revisitée, réécrite par la majorité. « Victoire pour La France insoumise ! a commenté Jean-Luc Mélenchon, quoique LREM ait partiellement vidé notre proposition de loi […]. Une petite avancée, mais une avancée quand même ! » Il faudra donc s’en contenter. De peu. D’autant que les annonceurs pourront déroger à cette obligation moyennant une contribution affectée à l’Agence nationale de santé publique, tandis que l’amendement prévoit un long délai (jusqu’au 1er janvier 2021 !) pour laisser aux marques le temps de s’adapter. Dans ce vote, un autre amendement prévoit la remise d’un rapport annuel sur l’évolution de la qualité nutritionnelle des aliments et une éducation à l’alimentation intégrée à l’enseignement scolaire. En revanche, un autre article visant à réduire l’impact de la publicité alimentaire sur les plus jeunes a été rejeté. C’était pourtant un volet essentiel et crucial. Sachant que le texte n’est pas encore passé au Sénat, rien n’est réellement acquis.

Reste une curiosité, sinon un paradoxe. Si l’affichage devient plus ou moins obligatoire dans la publicité, il ne l’est pas sur les emballages dans les supermarchés ! Les entreprises sont seulement encouragées à l’utiliser. « Un arrêté, publié en octobre 2017, précise que le Nutri-Score peut être affiché sur la face avant des emballages, explique Serge Hercberg, professeur de nutrition à l’université Paris-XIII, également coordinateur des travaux sur le Nutri-Score. Mais ce n’est pas obligatoire, parce qu’une réglementation européenne empêche les États d’afficher un logo nutritionnel, au nom de la libre circulation des produits. C’est un règlement discuté à Bruxelles dès le début des années 2000 et jusqu’en 2016, poussé par les lobbys industriels pour empêcher les États de prendre les bonnes décisions. Il existe donc bien en France un texte de loi, mais il reste facultatif ! »

À ce jour, une centaine d’entreprises se sont engagées à faire figurer le Nutri-Score sur leurs emballages. Des distributeurs comme Auchan, Intermarché, Casino, des sociétés comme Danone, Bonduelle, William Saurin, Jacquet, Marie. « Tous se sont mis d’accord pour plus de transparence, après d’intenses batailles de lobbying, précise encore Serge Hercberg. D’autres marques sont nettement plus réticentes et s’y refusent. Un noyau dur de multinationales, des groupes comme Unilever, Nestlé, Pepsi, Coca-Cola, des marques comme Ferrero, Kellogg’s, Mars… Des entreprises qui tentent toujours et encore de torpiller le Nutri-Score. Mais, en termes européens, autant la marge de manœuvre est réduite sur l’affichage des emballages, autant elle est ouverte sur la publicité. » Est-ce suffisamment contraignant pour l’industrie agroalimentaire ? « C’est déjà une avancée importante pour la santé publique, répond Serge Hercberg. Même si les industriels savent qu’ils peuvent déroger à leurs obligations, d’une façon ou d’une autre, cela les pousse à revoir la composition de leurs produits. »

D’aucuns trouveront qu’en l’état la loi ne va pas assez loin. Parce que le Nutri-Score, réduit à une somme de nutriments, ne tient pas suffisamment compte de la façon dont le produit alimentaire est transformé. Pour les industriels, il peut suffire de diminuer légèrement la teneur en sucre, en sel ou en graisses saturées – sans modifier grand-chose à leurs préparations – pour obtenir le sésame qui rassure le consommateur : la lettre A ou B qui l’incitera à acheter. Or, avec plus ou moins de sel ou de sucre, c’est le produit transformé qui reste le plus dangereux pour la santé.

Pour Pierre Meneton, nutritionniste et chercheur à l’Inserm, « cela reste une défaite, une démission des pouvoirs publics et du gouvernement sur la prévention en matière de santé, puisque rien n’est imposé sur le sel, le sucre ou les graisses ! Et si un nouveau projet de loi est annoncé par LREM, nous restons très pessimistes. Chaque pas en avant, comme le Nutri-Score, est un parcours du combattant, même s’il a mieux marché qu’on ne le pensait. Mais il faudrait l’appliquer aussi aux produits non emballés, aux charcuteries, aux boulangeries, aux fromageries, à tout un secteur de ventes non négligeable. »

Mieux qu’une loi, il appartient, en réalité, au consommateur d’être vigilant, de changer ses pratiques d’achats pour imposer aux industriels de revoir leur copie. Certains outils le permettent. Yuka en est un : une application mobile qui évalue la qualité des achats du client dans un supermarché. C’est à lui de scanner le code-barres du produit (même les cosmétiques). En un clin d’œil, l’application déchiffre l’étiquette, livre une évaluation, identifie l’impact du produit sur la santé à travers une fiche détaillée (additifs, graisses saturées, sucre, calories, fibres, sel, protéines). À la clé, une note sur 100 qui s’accompagne d’un code couleur, de vert à rouge (comme le Nutri-Score donc). Quand le produit scanné n’est pas encore dans les rayons de Yuka, le consommateur peut toujours l’y entrer en précisant sa composition et en envoyant une photo de son tableau nutritionnel. Aujourd’hui, Yuka revendique deux millions d’utilisateurs. L’application va jusqu’à proposer une alternative en dirigeant le consommateur vers un produit similaire quand celui déjà sélectionné est trop nocif.

Scan Up est une autre application fonctionnant sur le même principe, qui affiche en outre le niveau de transformation des produits selon une classification scientifique. Elle se distingue également par un espace de dialogue entre le consommateur et les marques, le premier votant pour certains critères (l’origine des produits, leur transformation…). Aux industriels de s’adapter aux demandes. Pierre Meneton ne cache pas son scepticisme : « Il y a à boire et à manger dans ces applications. Ce n’est pas suffisamment cadré ni contrôlé par le ministère de la Santé. On peut surtout craindre une récupération des industriels ou des financeurs de l’agroalimentaire. »

Justement, il existe une autre application, labellisée par l’Agence nationale de santé publique, indépendante : Open Food Facts, créée en 2012. À l’origine, il s’agit d’une association qui a développé une base de données ouverte, alimentée par des contributeurs dans le monde entier. Son application « relève d’une initiative citoyenne », se félicite Serge Hercberg. Le consommateur prend l’étiquette en photo, l’envoie à Open Food Facts, qui la décrypte avant de l’intégrer dans l’application. L’association compte plus de 5 000 contributeurs.

En France, il existe maintenant plus de 250 000 références, « dont certaines sont redondantes, poursuit Serge Hercberg, mais 150 000 très précises, vérifiées, recoupées par la communauté, régulièrement mises à jour. C’est très bien pour le consommateur, car cela permet de contourner les industriels qui refusent le Nutri-Score, comme Mars et sa barre chocolatée, même s’il est plus compliqué de scanner un produit que de regarder un logo sur un emballage. Ça ne profite qu’à ceux qui ont un peu de temps, puisque le temps des courses s’en trouve triplé. Il faut reconnaître que cela ne touche encore qu’un certain type de consommateurs, éclairés, motivés. On ne peut que soutenir ce type d’applications mais, à terme, il faudra que l’information figure sur les emballages, il faudra un affichage simple, efficace ». Même pour une pizza. En attendant, la bataille de l’étiquetage n’est pas terminée.