C’est pas chez nous qu’on verrait ça

J’éprouve l’immense fierté de qui se sait vivre dans le Pays entre tous dont jamais – au grand jamais – les gouvernant·e·s ne mobiliseraient la soldatesque contre des foules épuisées par trop de mensonges et de forfaitures.

Sébastien Fontenelle  • 27 mars 2019 abonné·es
C’est pas chez nous qu’on verrait ça
© crédit photo : JUAN BARRETO / AFP

Ces caudillos latino-américains sont vraiment d’affreux jojos. Quand ils se hissent jusqu’au pouvoir suprême, c’est à chaque fois, tu noteras, sur la promesse qu’ils se mettront au service du peuple. Mais, chaque fois, on découvre bien vite qu’ils servent en réalité les intérêts particuliers d’une toute petite caste. Qu’ils prennent aux pauvres pour donner à quelques riches. Et qu’ils s’entourent, pour ce faire, de cliques de nervis sans foi ni loi prêts à toutes les brutalités, non moins qu’à toutes les prévarications. (Certaines fois, leurs entourages sont pris en flagrant délit d’exaction, et il se trouve alors quelques parlementaires pour leur signifier qu’il faudra rendre des comptes. Dans ces moments-là, ces potentats, trahissant l’insondable mépris dans lequel ils tiennent également la démocratie, lancent de terribles anathèmes contre ces empêcheurs – mélangés aussi de menaces à peine voilées : ta chambre haute sort de son rôle, señor Larchéjo, et devra craindre notre courroux.)

Logiquement, la plèbe finit par se lasser de ces pratiques – et du harassement qui lui est infligé pour le gavage d’une camarilla. Logiquement, elle finit par descendre dans les rues, où elle demande qu’on lui redistribue les richesses confisquées puis exige : « ¡ Que se vayan todos ! » (Et surtout toi, el presidente, qui nous a si grossièrement berné·e·s quand tu promettais, gran embustero, qu’avec toi notre pays, remis en marche, offrirait la même chance à tous.)

C’est dans ces embrasements que les caudillos, jetant pour de bon le masque de leurs fausses bontés, apparaissent pleinement pour ce qu’ils sont – car ils font donner d’abord, dans une répression toujours plus féroce, leurs polices (équipées d’horribles lanceurs de balas de goma qui déchirent des chairs et crèvent des yeux), puis, par un surcroît de sauvagerie, l’ejército. L’armée ! Contre des manifestant·e·s !

Fort heureusement, le monde libre (dont le périmètre court à peu près de Baxter Springs, dans le Kansas, à Esch-sur-Alzette, au Luxembourg) regarde aujourd’hui ces barbares et leur remontre, vertement, que l’époque lointaine où ces violences restaient impunies est désormais bien révolue. Et c’est bien sûr la France qui, dans ces conjonctures (je ne sais pas si je vais arriver à l’écrire sans me laisser submerger par la gratitude), porte le plus haut (comme elle a toujours fait depuis qu’elle a allumé toute la Lumière de l’univers) l’étendard de la défense des libertés. Et c’est son président (que son nom soit ovationné dans les siècles des siècles) qui proclame (juste après qu’il a essayé de placer encore quelques armes made in République à ses amis régnants d’Égypte ou de Saoudie) qu’il « soutient la restauration de la démocratie » sur les deux rives de l’Orénoque. Et je ne sais pas toi, mais moi, j’en ai à chaque fois les poils des bras qui se dressent. Car à chaque fois j’éprouve l’immense fierté de qui se sait vivre dans le Pays entre tous dont jamais – au grand jamais – les gouvernant·e·s ne mobiliseraient la soldatesque contre des foules épuisées par trop de mensonges et de forfaitures.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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